Cover

Né un 21 mars 1957, à Ksour Essef, près de Mahdia, Youssef Rzouga révèle tôt le caractère d’un jeune précoce et curieux. Sa scolarité primaire et secondaire finie, il poursuit, à Tunis, des études supérieures à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, à la Faculté de Droit, à l’Institut des Beaux Arts et à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information. Il obtient différents diplômes dont une maîtrise en sciences politiques, et assure plusieurs fonctions dans le journalisme et la culture.

Mais à peine a-t-il vingt ans qu’il inaugure une carrière poétique en publiant : Amtâzou alaïki bi’ahzâni ( Je me distingue de toi par mes chagrins). En deux décennies environ, il va délimiter son territoire de poète singulier, qui s’imposera par une production régulière, un style personnel et une présence très remarquable dans les médias et les espaces culturels de la capitale. Se succèdent alors de nombreux recueils qui sont autant d’assises de l’½uvre d’un créateur prolixe, passionné et impatient d’étancher une soif à mi-chemin entre l’intériorité et le monde extérieur :

1979 : Amtâzou alaïki bi’ahzâni (Je me distingue de toi par mes chagrins), Tunis, Al’Akhillâ.

1982 : Loughatou’l’aghsâni’l’moukhtalifâ (Langage des branches diverses), idem.

1985 : Barnâmajou’l’wardâ ( Le Programme de la rose), idem.

1986 : Al’Arkhabîl (L’Archipel, roman), idem.

1986 : Ostorlâbou’Youssef’al Moussâfîr (L’Astrolabe de Youssef le voyageur), Tunis, Maison des Quatre Vents.

1998 : Athîbou fil’Ibâra (Le Loup dans le verbe), Tunis, Sotepa.

2001 : Bilâdou Mâ Beïna’l’Yadaïni (Le Pays d’entre les deux mains), Tunis, Ithâf.

2001: Azhârou Thâni oksîd’Ettârîkh (Fleurs de bioxyde de l’Histoire), Tunis, L’Or du Temps.

2002 : Ilânou Hâlati’Taouârî (Déclaration de l’état d’alerte), Tunis, Sotepa.

2003 : Al’Aamâlou’Chîria, I, (¼uvres poétiques, t. I), idem.

2004 : Yoganna (Yogana, le livre du yoga poétique), idem.

2004 :Al’Farâchatou Wad’Dinamît (Le Papillon et la dynamite), idem.

2005 : Le fil(s) de l’araignée ( Hallucination spéculaires),
[ en langue française] Idem.

2005 : Ardhou’Sifr, The Ground Zero ( La Terre zéro), Idem.

2006 : Tôt sur a terre,
[ en langue française] Idem.


Indépendant, frondeur, ennemi de la critique des profs et ambitieux, tels sont, a priori, les maîtres mots de la vie et de l’esthétique de ce poète. Le premier volume annonce le dynamisme d’un jeune créateur, désormais toujours sur le brèche, et donne le la d’une poétique reconnaissable dans ses grandes lignes, (lyrisme, engagement, angoisse, euphorie…), mais il sera bientôt légué au rang d’une première ½uvre marquée par le tâtonnement, la fraîcheur des débuts, voire la stéréotypie.

Car, ce sont plutôt les poésies suivantes, mûries par l’expérience et la confrontation avec les émules de la scène littéraire, (M.-S. Ouled Ahmed, poète à scandale, Ahmed El-Guebsi poète intellectuel, ou Adam Fathi chansonnier doué), qui vont progressivement tracer pour lui une ligne de démarcation, à la fois esthétique et idéologique.

Hanté par l’actualité la plus brûlante et tendu vers les horizons de l’avenir, Youssef Rzouga prétend s’écarter de cette poésie tunisienne et arabe passéiste, qui ressasse des sujets élégiaques ou les thèmes de la déception et de l’auto-flagellation. Aussi cherche-t-il à enraciner l’angoisse présente, qui le ronge au même titre que ses contemporains, dans l’observation d’une quotidienneté apparemment triviale et dans le désir légitime de bonheur. Par exemple, dans le poème intitulé : Qâbouss (Cauchemar), il associe les gestes innocents d’une petite chatte aux méditations suscitées, entre autres, par la récente destruction symbolique des deux tours new-yorkaises, et dans le texte intitulé : Mouhâoualatoun fil’khiânâ (Tentative de trahison), il relie la passion amoureuse la plus commune à l’écriture provocatrice, à l’enthousiasme d’un Prométhée convaincu et au défi tourné vers ce qui peut advenir .

Le souci de se distinguer, par la nature et la teneur des messages adressés aux lecteurs, ne va pas sans une recherche opiniâtre jusqu’à la provocation, au niveau des outils poétiques. On reconnaît un vers de Youssef Rzouga, d’abord, dans cette facture qui évoque un jeu d’équilibriste, où il s’agit de privilégier l’écart stylistique tout en demeurant suffisamment lisible. Les personnages familiers, les objets banals ainsi que les atmosphères ordinaires sont donc détournés de leur fonction ou contexte convenus, et chargés des interrogations sérieuses, quelquefois à la limite du tragique.
Bien plus, le langage habituel autant que les terminologies spécialisées deviennent le champ d’une expérimentation qui réserve aux lecteurs d’indéniables surprises. Paradigmes scientifiques et techniques, dérivations à volonté, mélanges référentiels et symboliques marquent ainsi le poème d’une littérarité à la fois simple et complexe, diaphane et ambiguë, lisible et polysémique. L’euphorie, qui est autrement l’un des thèmes, pour ne pas dire des principes fondamentaux du credo de Youssef Rzouga, a comme adjuvant immédiat une écriture aisée, mais dépêtrée des clichés lexicaux et syntaxiques, moderne mais à l’abri des élucubrations formelles et thématiques du nihilisme excessif.

Pourtant, ce désir indéfectible de se démarquer des chapelles et des écoles peu ou prou consacrées, ne l’empêche pas de chercher des affinités avec d’autres créateurs, et de revendiquer des ralliements en Tunisie et dans le monde arabe, ce qui fait un peu trop de bruit autour de lui, et oriente sérieusement l’attention de la critique journalistique vers son ½uvre, et suscite sa haine des académiciens qu’il prend pour des snobs et des passéistes. On se contentera de rappeler la polémique qu’il a provoquée, ici et ailleurs, en signant une Charte des poètes, avec une pléiade de congénères arabes, lors du festival de Jarâch ( Jordanie), en août 2003, revendiquant une poétique innovante, eupho-rique, ambitieuse et engagée .

Même s’il ne bénéficie pas de l’assentiment unanime des lecteurs ou des gens de lettres, Youssef Rzouga demeure l’un des poètes créatifs et originaux de l’espace littéraire tunisien et arabe, et Ezzedine El Madani, critique généralement réservé et réputé difficile, n’a peut-être pas tort de l’évoquer en ces termes : « (Il) est l’une des figures marquantes de la poésie contemporaine et moderniste, l’une des voix arabes les plus entendues en Tunisie, en Egypte, en Syrie et en Jordanie. »

Une poésie frondeuse:



A poète particulier dans le champ littéraire tunisien renaissant, un traitement particulier : plutôt que de soumettre ses vers à la dissection professorale qui répugne à Rzouga, et contre laquelle il écrit des poèmes tout à fait rédhibitoires pour la critique, nous allons (une fois n’est pas coutume) longuement céder la place à l’½uvre, pour que s’y épanche l’euphorie du verbe et du faire poétiques, en souhaitant seulement que la traduction de quelques-unes des pages les plus récentes, outre certains des vers en français de Rzouga, ne soit pas une trahison.
Ce faisant, le plus grand hommage que le commentateur puisse rendre à un créateur convaincu et passionné n’est-ce pas de lui donner la parole qu’il croit lui être confisquée par la critique inutile ou inique ?
__________________________

*Ali Abassi est né en 1955, romancier| essayiste et universitaire | maître de conférence de l'université de Manouba. Il a longuement travaillé sur le concept d’ «hybride» dans le roman français. Son roman Tirza (Tunis, 1996) a permis de faire connaître ses talents de romancier au public tunisien et français.
Parallèlement à un itinéraire universitaire d’enseignant et de chercheur, en particulier dans le domaine du roman (thèse sur Guy de Maupassant en 1987, des essais divers tels que Le Récit, Biruni, 1994, Le Romanesque hybride I et II, Tunis, Sahar, 1996, 1998, Stendhal hybride, Paris, L’Harmattan, 2002…),il tente de poursuivre une ½uvre de créateur en langue française: Tirza, Paris/Tunis, Joëlle Losfeld/Cérès, 1996, Voix barbares, Tunis, Sahar, 1999, «La Guerre et ses environs» parus aux éditions Sahar,2005, «Inchallah le bonheur» , Sahar, 2005, Erratiques, Sahar, 2006.
Loin de craindre la dispersion, il trouve dans cette conjonction de la recherche et de l’écriture romanesque un cadre idéal pour explorer les orientations d’un archétype qui le passionne et qui lui semble caractéristique de notre modernité, à savoir l’hybride. Il assume cette activité comme une liberté et une responsabilité...





Lumières ambiantes


|Poèmes choisis|



Seuil 2



Je t’offre le livre de notre temps
Alors n’y entre pas avec ton regard de touriste
N’y entre que hic et nunc
Car, c’est cela ton arme a double tranchant
Et c’est cela ton plus précieux présent pour moi.

Quant à celui qui le feuillète
Qui y cherche mon reflet
Et dans son agenda certaines de mes traces parmi les
ancêtres morts
Je lui saurai gré de dispenser mon livre
De ses ouragans terribles
Et qu’il s’en aille avec les ancêtres, vers son exil…
De ses doigts, ne sont-ils pas plus dignes
Alors qu’ils se sont mus

-Je veux dire les ancêtres-
En livres jaunes
Feuilletés par des critiques jaunes, de l’ordre des mythes
De l’ordre des rats ?
La Terre zéro, pp. 14-15
Trad.A.T

Tentative de rêve



Ce que j’écris
N’est ni la poésie en vers ni la poésie en prose
Et n’a rien à voir avec les miracles
(Ils ont vécu les poètes imbus d’eux- mêmes
-Ces héros des bouts rimés et des basses flatteries-)

Ce que j’écris au charbon
-Hic et nunc-
Est une tentative de rêve
Une incitation au rêve
Et une philosophie pour se venger d’une femme…
Qui enfanta cette armada…
Des imbéciles du monde
Et les attendit –impatiente-
Jusqu’à ce qu’ils eussent commis leur péché.
Ibid., pp. 16-17
Trad.A.T

…Quant au poème



(…)
La poésie convia chaque professeur, à part
La poésie traduisit
-Tout en séduisant chaque professeur à part- ses charmes en mots...
Chaque professeur à part y vit…
Un complot fomenté contre chaque professeur à part

Et de toutes part
Une haute trahison !
Chaque professeur la lapida à part …
La poésie n’eut pas le choix,
Alors qu’avec son silence débordant elle flagellait chaque professeur à part,
Que de sortir à l’air libre pour sa première manifestation
Contre le croassement : l’ancien et le moderne…
(…)
Ibid., pp. 21-22
Trad.A.T

Après le choc, un chocolat



1-Après le choc,
Un chocolat chaud
Et hop :
Enfin, le show :
Shopping
Redire la même chose
Et entre- temps
Danser le rock…
C’est une vie…
Typiquement sauvage…
Mais
On vit
Et ainsi va la vie.
Le Fil(s) de l’araignée, p.23.

Le Port de Trieste : un amour tardif



Au Belvédère
Je la revois
Elle est la même
Avec le même affreux regard
Et le même tic
Quand elle parle avec ses mains

Elle est la même
Avec le même balancement
D’indifférence
Et/ou
Le même déroulement de
Défoulement

Elle est la même
La même femme de Trieste
Triste et gaie
Et qui chambarde tout
Dès qu’elle quitte le port de
Trieste
Et envahit le désert
De mille et un regards.

Au Belvédère
Je la revois
Danser la « Tarentelle »
Chanter un amour tardif
Elle est la même
Mais seulement son c½ur a
Changé :
Il bat très fort.
Tandis que Tito
Tue
Le fils d’un forgeron

Par son remords tardif
Elle s’en va sans retour
Vers l’autre rive.
Ibid., pp.39-40.

Impressum

Tag der Veröffentlichung: 13.01.2010

Alle Rechte vorbehalten

Nächste Seite
Seite 1 /