Ainsi valse l’envoûtante ballerine : L’opéra inachevé..
(journal d’un poète balletomane : Moscou 1984/1987)
Sitôt dit, sitôt fait : soûl d’envie, il glisse dans la coulisse ; il la coince contre le mur.
Elle, gracile, gracieuse ; le buste en l’air, murmure : qu’on tourne les talons dehors.
Hors champ, au musée de l’Ermitage, mille et un miroirs reflètent mille et un tableaux.
Il fait froid partout ; ils s’entrelacent.
Elle, sur le point de quitter ses charmes, vibre et pointe les plages lumineuses d’un spectre continu.
Lui, comme un épi nu, dans un désert, éperdu de douleur sous l’influence secrète des couleurs et d’un désir éperdu de liberté, oscille entre le nu et le drapé.
C’est râpé.
Il faut qu’il soit fou
Pour pénétrer dans l’abstrait.
La lumière influe sur le concret..
Le c½ur illuminé, Younide tombe en extase devant sa déesse Olga,
Née pour désencadrer les toiles et déséquilibrer le monde.
Qui suis-je au juste ? un tableau inachevé ? une nature morte ?
Peins-moi Olga comme il faut et fais naître chez moi l’art de danser toutes les couleurs et colorer le rythme et l’harmonie d’un « livre à venir ».
Ils se silhouettent entre mille et un miroirs, en mouvements incessants d’allées et venues.
Lui, il cherche – parmi les étoiles dans les toiles – un Duchamp, ses « ready made » et son « nu descendant un escalier ».
Elle, elle cherche un Modigliani, sa « femme assise en bleu ».
Un moment, dit-il.
Rétif, il gigote, avance et recule devant un tableau anonyme ;
Un « je ne sais quoi » l’énerve énormément :
Cet enfant
Qui tète goulûment sa mère
Tandis qu’elle –face à la mer – lit « Vers à la belle dame » d’Alexandre Bloc.
Olga, quant à elle, vit l’opéra de Wagner :
« le crépuscule des dieux » et « le désert de l'amour » de Mauriac.
À la sortie, le long d’un trajet tournant..
Les lueurs crépusculaires exhalent un parfum coloré, lourd..
Il pleut à Saint-Pétersbourg
D’ailleurs, il pleut toujours.
Un contralto et une voix de contrebasse se fraient un chemin vers l’autre rive du « happiness ».
Au terminus d’un métro robot, Olga et Younide déraillent..
Quelque chose s’exhale tout autour : la joie, peut-être.
Entre « Occasions » et « Os de seiche », la « Tempête » dit l’hermétiste Montale et s’en éclipse.
Younide et Olga s’emboîtent : poupées gigognes en chair vibrante à la merci d’un vent désireux de tout faire.
Pour le plaisir de fruits jumeaux, dizygotes.
Olga sanglote.
Younide, maître de l’instant
Joue du Béjart : « messe pour le temps présent / messe pour le temps futur ».
**
Il pleut à Saint-Pétersbourg
D’ailleurs, il pleut toujours.
Younide délire de joie.
Olga se soûle de mots.
***
Lénine : le phénix russe par excellence
Frémit dans son cercueil plombé..
Et, dès qu’il en sort, il brûle les « Thèses d’avril », en posant sa question brûlante :
« Que faire ? »
Sitôt dit, sitôt fait..
Un écureuil quitte sa « berioska », sautille et lui saute aux épaules.
Ne t’en fais pas, dit l’écureuil,
Ils ne sont ici que pour déclencher, cher Lénine, l’Amour.
N’y a-t-il rien de plus beau qu’une guerre d’amour ?
Un autre écureuil sautille, lui saute à la gorge :
Hé dors !
Lénine est mort
Et même Leningrad
N’est plus Leningrad : la ville qui a longtemps porté son nom.
***
Les flammes dansent dans l’âtre
Eux, Olga et Younide valsent au septième ciel devant l’âtre au c½ur de flammes.
Elle,
Elle danse « l’oiseau de feu »
Stravinsky fait du ski / ski de fond
Et danse « le sacre du printemps » avec « passion ».
Elle danse « l’art de la fugue »
Bach fait la fugue et danse l’inachevé… d’ailleurs, comme d’habitude.
Elle danse « water music ».
Haendel coule goutte à goutte..
Elle danse la « servante maîtresse »
Pergolèse, à l’aise, danse « la maîtresse servante ».
***
Les flammes dansent dans l’âtre.
Deux âmes en flamme.
Tag der Veröffentlichung: 12.01.2010
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