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Le retour de Tirésias

Ludovic den Hartog

 

Le retour de Tirésias

 

 

Du même auteur :

 

Chez BookRix

 

 

  • Tous sur Clémentine

 

  • Charlotte passe à l’attaque

 

  • Le retour de Tirésias

 

  • Bacchanales au Centre de détente

 

  • La Guerrière

 

 

Chez Amazon

 

  • Taisez-vous, méfiez-vous, les oreilles ennemies vous écoutent (47 p.)

 

  • Le plaisir des dieux (et elle batailla jusqu’au petit matin - suite de « Bacchanales au centre de détente ») (81 p.)

 

 

  • Série Callipyge

 

  • Quatre étudiants pour la prof 62 p.
  • Insatiable ? 70 p.
  • Préparatifs érotiques et initiation surprise 84 p.
  • Seule contre tous 57 p.
  • Ménage à trois 49 p.

 

  • Série Alice

 

  • Alice s’émancipe 99 p.
  • Les malheurs d’Alice 112 p. (bloqué par Amazon)

 

  • Série Cathy

 

  • Cathy mène la danse au concert de country – Jeudi 120 p.
  • Cathy se déchaîne au concert de country – Vendredi 147 p.
  • Cathy se libère au concert de country – Samedi 110 p.
  • En préparation : Cathy et les 7 mousquetaires au concert de country – Dimanche et lundi

 

I

 

 

Son angoisse, d’abord sourde, a fini par l’envahir toute entière ; Eléa a eu beau la raisonner, la modérer, tenter de la contraindre au plus juste, elle a brisé les défenses, emporté toutes les digues et déferlé sur la fin du colloque auquel elle participait, sur le dernier dîner auquel elle n’a pu se soustraire, sur les adieux aux collègues. Deux jours sans aucune nouvelle ! Eléa se sent perdue.

Elle ne pense plus désormais qu’à une chose : rentrer chez elle au plus tôt et voir, savoir. Elle regarde par la fenêtre, mais elle est imperméable à ce qui la charme depuis toujours quand elle prend le train, incapable de s’intéresser à toutes ces lumières qui s’allument dans la nuit, une par foyer, chacune avec son lot de vies, son quota de destins qui se jouent derrière les vitres. Que de fantasmes, de désillusions, de deuils, de joies, de tempêtes, de projets, et par milliers, par millions, tous semblables et tous différents !

Deux jours, deux longs jours et deux interminables nuits sans nouvelles, entre eux qui sont inséparables depuis trois ans et demi de vie commune, indispensables l’un à l’autre, comme imbriqués, fusionnés. Axel désormais, c’est son oxygène, sa raison d’exister, la source à laquelle elle se régénère chaque jour de sa vie. Et Axel est absent ; il ne répond ni au téléphone, ni aux SMS, ni aux mails.

Lui est-il arrivé malheur ? Le grand garçon sportif a-t-il malencontreusement chuté dans l’escalier ? Eléa a tout envisagé : l’embolie pulmonaire, la rupture d’anévrisme, une attaque, un infarctus… Mais à son âge ? Il n’a que 27 ans, trois de moins qu’elle !

Elle s’est raisonnée, face à l’improbabilité de la chose. Elle a failli appeler Juliette pour qu’elle aille faire un tour chez elle, chez eux. Mais que dire ? « Je suis au loin et il ne me donne plus de nouvelles » ? Ridicule ! Juju est une super bonne copine, mais ne va-t-elle pas s’en faire des gorges chaudes ?

Et puis n’a-t-elle pas déjà tenté de détourner à son profit l’attention du beau brun ? Est-il judicieux d’introduire cette louve dans la bergerie, avec sa taille extra fine toujours savamment étranglée sur ses hanches extra larges ? Sans parler de l’insatiable et secrète gloutonnerie qu’elle lui a avouée un jour où, ayant un peu forcé sur la sangria, elle était en veine de confidences ? Depuis, Eléa sait qu’il ne faut pas lui en promettre à celle-là ! Elle a toute confiance en son Axel, mais un homme jeune et en pleine forme, abandonné à lui même face à ses besoins… Bon sang, cinq jours à patienter, ce n’est tout de même pas la mer à boire !

Et puis non, elle en est sûre, il ne mange pas de ce pain-là ; il ne tomberait pas aussi facilement. Elle se souvient de l’épisode Jessica.

La belle Jessie, une très jolie femme d’une bonne trentaine d’années adorant focaliser les regards et les discours, les avait conviés chez elle avec une troupe de collègues, histoire de fêter sa promotion. On était en été. Elle avait accueilli ses invités, brillante comme à l’accoutumée, moulée dans une mini robe bleu nuit qui mettait toute sa riche féminité à l’étalage. Ses seins, bien relevés, s’agitaient légèrement dans un décolleté provocateur, juste agrémenté de trois tours de perles. Ses jambes étaient un peu fortes, mais longues et joliment galbées. En comparaison Eléa était venue très sage, corsage et longue jupe de lin. Quel contraste ! Jessica avait ouvert la porte, d’excellente humeur :

 

- Ah, ma chérie ! Tu es belle comme tout, mais il n’y a que toi pour pouvoir porter d’aussi jolies choses !

 

Eléa s’en fichait, elle connaissait la bête, mais elle avait vu qu’Axel s’était rembruni. Trois semaines après ils avaient rendu l’invitation. Alors il lui demanda quelque chose de précis.

Elle avait l’habitude de ses fantaisies érotiques et se prêtait complaisamment à tous les jeux qu’il pouvait inventer ; ou bien elle trouvait la chose intéressante en soi et participait à son bonheur, ou bien elle la trouvait sans intérêt mais dans ces cas-là, son excitation à lui suffisait amplement à motiver la démarche.

En l’occurrence, un peu perplexe, elle s’était exécutée sans trop comprendre. Elle avait donc mis la même jupe que trois semaines auparavant, un peu contrariée car elle aurait préféré pouvoir changer de tenue. Dessous, elle ne portait pas le moindre sous-vêtement. Quand les invités arrivèrent, parmi lesquels la jolie Jessie accompagnée de son prince charmant du moment, Axel savait donc qu’Eléa était prête à l’emploi, il suffisait de soulever l’étoffe pour la prendre. Elle-même en convenait, cette disponibilité symbolique n’était pas sans l’exciter et son sexe était tout humide.

Elle ignorait toujours ses intentions. Axel attendit le moment propice ; le fromage expédié, il aida sa compagne à débarrasser et invita Jessica à venir chercher le dessert. Quand elle arriva, il avait déjà collé Eléa à lui, elle avait le nez dans son cou, de grandes mains nerveuses pétrissaient son derrière :

 

- Ah, ben d’accord, je vois qu’on ne s’embête pas ! Une urgence peut-être ? 

 

Eléa l’entendit répondre :

 

- Avec ma nana ça presse toujours ; quand elle a une envie, c’est pas le moment de faiblir. D’ailleurs regarde, elle a l’air sage, comme ça, et puis…

 

D’une main il avait remonté la jupe sur ses fesses étonnamment charnues, vu la minceur de leur propriétaire. De l’autre il esquissait déjà un tendre et profond câlin. Il lui montra sa main :

 

- Regarde ! Instantanément disponible !

 

La pauvre Jessica s’était littéralement enfuie.

 

- Jessie, tu oublies les assiettes à dessert !

 

Eléa se sentait écarlate ; complètement interloquée, elle ne savait plus si elle devait éclater de rire, se fâcher, courir s’excuser, sauter de gratitude au cou de son homme ou lui coller une gifle monumentale. Il regardait sa main mouillée.

 

- Même pas besoin de tricher !

 

…osa-t-il commenter, le regard complice, avant de retourner aux tâches ménagères, maugréant à l’encontre de Jessica :

 

- Comme ça, elle a vu que ta jupe n’était pas si ringarde !

 

C’était tout lui, ça.

 

- Tu te rends compte que dès demain toute la fac saura que je reçois mes invités sans culotte et que je suis baisable 24 heures sur 24 parce que je mouille en permanence ! Mais tu es complètement inconscient !

 

Elle reprit, sur un ton mutin, faussement songeuse :

 

- Remarque, maintenant que tu me l’as fais remarquer… Au fond c’est pas faux et ça m’ouvre des perspectives ! Ta petite sortie pourrait avoir des conséquences inattendues…

- Essaie un peu, pour voir !

 

Elle n’eut pas le temps de le rassurer et de lui dire que ces manifestations impérieuses de désir ne concernaient que lui. Il la captura par derrière, la souleva par la taille et, rabattant la jupe ample sur ses reins, il lui mordit cruellement la fesse droite. Elle ne put réprimer un cri.

 

- Salaud ! Tu m’as fait mal ! Sûr, je vais avoir un bleu.

 

Il était franchement rigolard :

 

- Oui, et il me semble t’avoir entendue crier en plus !

- Mais t’es vraiment con hein !

 

…laissa–t-elle échapper en se massant le derrière et sentant la moutarde lui monter au nez.

 

- Allez, n’en fais pas un drame.

 

Il la serra dans ses grands bras et, comme il la dépassait d’une bonne tête, déposa un tendre baiser dans les épais cheveux noirs. Sa colère naissante fondit instantanément. Elle lui rendit son baiser, puis se para du masque de la dignité pour retrouver des invités sans doute au courant de tout, mais qui faisaient semblant de rien.

La vie avec Axel, c’était tout ça. De la fantaisie, de la tendresse, de la complicité et une vitalité dans l’amour qui la surprenait parfois, mais qu’elle ne trouvait jamais pesante ou lassante, tant il était inventif et délicat.

Le train s’engage dans un tunnel. Dans la vitre, son visage lui paraît déprimé ; traits fins, pommettes hautes sous un carré assez long, yeux en amande, nez mutin, elle se plait assez, mais se trouve mauvaise mine.

Enfin la gare. Comme elle le craignait, en dépit des nombreux messages expédiés, personne ne l’attend. Elle en conçoit une profonde amertume mais surtout un désespoir sans nom. C’est un monde qui s’écroule ; tout un univers qu’elle avait élaboré autour de lui, de sa présence, de sa chaleur, de son rayonnement, toute une construction échafaudée en vue d’un avenir radieux, avec une maison, un jardin, des bébés sans trop tarder et un compagnon qu’elle se promettait secrètement de garder comme amant, en dépit des obligations professionnelles et des contraintes liées au quotidien de toute mère de famille. Elle s’enfile dans un taxi sans chercher plus loin. Elle a peur de savoir. Il ne serait jamais parti comme un voleur, ce n’est vraiment pas son genre ; à la maison il y aura au moins une lettre, un mot qui l’attendra. Déjà elle l’imagine, collé au miroir de sa coiffeuse ou déposé sur son bureau, dans une enveloppe à son prénom : Eléa.

Elle aime sa façon de le prononcer durant l’amour, comme elle aime les grandes mains qui savent se faire si douces pour envelopper, caresser, soupeser les rondeurs de sa féminité, qui deviennent si curieuses pour délicatement explorer les petits recoins et les secrets de son corps, pour pénétrer ses ultimes défenses afin de venir barboter dans son nid d’amour qui se change aussitôt en une fleur obscène, gonflée, ouverte, inondée par le désir.

Elle éprouve alors le besoin physique d’entourer de sa main la tension de son membre, dur, doux, chaud, fort, tendre, impérieux, fragile, tout ce qu’il est aussi lui-même ; elle se saisit de lui et commence par gentiment le serrer, se déplaçant sur toute sa longueur, comme pour le calibrer et en apprécier le volume et les contours ; c’est que c’est une fort belle pièce ! La première fois elle en a même éprouvé quelques inquiétudes, mais elle s’est vite rassurée.

En réalité la dimension de ses amants ne l’a jamais passionnée, mais puisque c’est celui de son homme, elle apprécie de retrouver ce sexe large et fort qui l’écartèle délicieusement.

Elle jouit intérieurement de lui abandonner son ventre. Elle goûte l’instant d’ouvrir largement ses cuisses pour qu’il s’installe et prenne ses aises avant d’aller et venir. Elle attend et savoure le moment privilégié du forcement, guette son expression, épie le moment où les yeux verts se ferment, au comble de la tendresse partagée.

 

- Eléa j’ai envie de toi… je t’aime. 

 

Alors les mains d’Eléa descendent lentement le long du dos et des hanches étroites, partant à la rencontre des fesses rondes et musclées. Cependant elle est femme avant tout. Si intense que soit le désir physique qu’elle éprouve pour lui, elle sait que leur entente ne reflète jamais que la qualité de leur relation. D’ailleurs à la seule évocation de leur connivence, la voilà qui sent déjà palpiter l’entrée de son vagin : Axel, mon Axel, où es-tu ? Qu’as-tu fait ?

Le taxi la dépose devant un pavillon silencieux, d’où toute vie semble s’être retirée. Elle tourne la clé, entre, allume la lumière, prête l’oreille… Rien. Apparemment, la maison est solitaire. Ca pue le renfermé ; ça n’a pas dû être aéré depuis plusieurs jours. Elle pose son sac de voyage, fait rapidement le tour du rez-de-chaussée ; à côté du téléphone, un petit tas de courrier. Elle le prend et fait rapidement le tour des enveloppes. Rien qui l’intéresse directement, et surtout rien de lui.

 

- Mais grand Dieu pourquoi suis-je allée à ce foutu colloque ?

 

Dans la pénombre, elle monte en hâte les escaliers qui mènent à leur chambre, elle arrive devant la porte ; elle va peser sur la poignée quand elle prend tout à coup conscience du rai de lumière qui passe par en dessous. Quelqu’un regarde la télé. Sans réfléchir, partagée entre colère et inquiétude, elle ouvre en grand.

La chambre est dans l’obscurité mais la télé fonctionne en sourdine ; elle éclaire le décor d’une lueur blafarde. Quelle drôle d’odeur ! Et puis la fenêtre aveuglée, les volets tirés, l’armoire, le lit… Elle a un mouvement de recul, un instant de panique, l’horreur l’envahit.

Dans son lit ! Dans leur lit à tous les deux ! Dans leur nid d’amour : il a osé ! Il n’a donc aucun respect pour elle ?

Dans le lit complètement chaviré, en face d’une chanteuse qui s’agite en silence, une fille blonde est endormie, nue, les cheveux dans la figure, les seins à l’air, les cuisses largement ouvertes. Eléa se sent mal, l’émotion lui tord les tripes, elle a un accès de nausée. Elle lutte pour ne pas crier. Où est ce salaud ?

Elle passe dans la salle de bain, personne ! La chambre d’amis, celle qu’ils destinaient à leur bébé, plus tard, enfin bientôt… Rien. Juste cette fille. Mais où est-il ? Elle se retourne brusquement :

 

- Attends un peu, je m’en vais te la réveiller cette pétasse !

 

Toutefois, parvenue sur le seuil de la chambre, sa colère, tout à coup retombe d’un cran ; elle est incroyablement belle ! Le corps alangui dans le sommeil est parfait : il a cette rondeur des jeunes femmes en bonne santé, mais aussi cette finesse et cette élégance qui sont la marque universelle de la féminité. La respiration de l’endormie soulève une paire d’improbables nichons ; en dépit de leur volume ils sont délicatement formés, pas du tout avachis ; tout ça est lourd et dense, mais sans un pli, sans une vergeture : une poitrine miraculeuse. La taille est toute fine sur l’évasement des hanches, le ventre est superbement plat, imperceptiblement galbé, gracieux ; Eléa, l’œil envieux, s’attarde sur les cuisses rondes, fortes et lisses, sans l’ombre d’un dépôt disgracieux.

Quant au visage, tout frais sous les cheveux en bataille, il déborde de sensualité : nez mutin, lèvres charnues entrouvertes. En fait, cette fille a tout de la Vénus endormie du Titien, celle qui figure au bas du « Bacchanale », mais avec en prime une somptueuse laiterie qui n’était pas de mise à l’époque.

 

- Sale garce ! Être aussi grosse vache et être aussi belle ! T’as vraiment toutes les chances !

 

Oui, ce salaud d’Axel l’a bien choisie. Au moins Eléa n’est pas cocue pour rien ; quelque part, elle comprend. Ce n’est pas pour lui trouver des excuses, mais il faut en convenir, comment un homme en état de marche pourrait-il résister à… à « ça » ? C’est un cas masculin de légitime défense !

Avec un grognement qui sonne faux dans toute cette merveille de féminité, la belle se tourne sur le côté : les grosses mamelles ondoient gracieusement l’espace d’un instant, puis se posent gentiment l’une sur l’autre…

 

- Hé ! Hé toi !

 

Pas un battement de cil. Cette fois, Eléa crie :

 

- Hé, toi-là !

 

Toujours pas de réponse, rien que la respiration profonde de l’endormie. Cette fois elle la secoue :

 

- Bordel ! Tu vas te réveiller oui ?

 

Elle lui a saisi un bras. Elle ne peut s’empêcher de noter comment, dans sa main, la chair féminine est ferme et pleine. Puis Eléa lève le nez ; elle remarque à nouveau cette drôle d’odeur qui, depuis son entrée dans la pièce, la suit partout. Elle renifle à tout va…

 

- Mais ça vient de toi, espèce d’enflure !

 

Elle se baisse, renifle les cheveux, le visage… Pas de doute, l’odeur vient de là. Elle s’approche et son pied heurte une bouteille. Elle regarde mieux… Incroyable ! Tous les alcools de la maison sont au pied du lit, la plupart des bouteilles sont vides.

 

- Ah, d’accord ! Saoule comme une grive ! Mais l’autre cochon, où il est ? Allez, assez roupillé ma vieille ! Il faut vraiment qu’on cause maintenant.

 

Eléa passe à la salle de bain et emplit un verre d’eau. Elle revient et, non sans plaisir, le balance à la face de la belle enfant. Cette fois la fille émerge, mais dans une telle torpeur qu’Eléa juge utile de renouveler l’expérience.

 

- Qu… qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que c’est ?

 

La voix pâteuse sort d’une bouche déformée par une horrible grimace. Eléa la gifle trois ou quatre fois, oh, pas trop fort, mais avec une jouissance certaine, juste pour ponctuer ses questions, histoire de finir de la remettre sur les rails. Elle a vite fait d’évacuer un fantasme furtif où elle se voyait giflant les gros seins à toute volée :

 

- Pas marrant les lendemains de fête hein ? Gueule de bois ? Haleine de bœuf ? Ça te fait les pieds ! Où il est mon mec ?

 

La fille la regarde, comme hébétée…

 

- Ton mec ?

- Oui, Axel, mon mec ! Axel c’est mon mec ! T’as pigé gosse vache ? Et ici t’es chez moi ! Dans mon pieu en plus ! Alors… Il est où ?

 

Eléa est au bord des larmes. La fille semble émerger tout à fait, elle s’assied, la fixe un court instant, puis se cache le visage dans les mains.

 

- C’est toi ? Mon Dieu ! Mon Dieu quel cauchemar ! C’est l’horreur !

 

Effrayée tout à coup, Eléa prend la fille par les épaules et la secoue rudement : sans se départir de leur calme, les seins fabuleux entament un ballet gracieux. Vraiment du nichon de première qualité… Mais Eléa n’en a cure :

 

- Tu vas parler ? Mais tu vas parler dis ! 

- Mais c’est moi, Eléa .

- Comment ça : « c’est moi » ?

- Oui, Axel c’est moi ! Je suis ton Axel.

 

D’abord elle a envie d’éclater de rire, et puis elle regarde cette fille d’un œil neuf ; c’est vrai qu’elle n’a pas l’air bien nette. Ils ont peut-être fumé tous les deux ? C’est pourtant pas le genre d’Axel… Instinctivement, elle recule Non, c’est une dingue… est-elle dangereuse ?  Puis elle rougit de son préjugé. Elle s’adresse à elle gentiment, s’appliquant au plus grand calme :

 

- Comment ça « c’est toi » ? Comment pourrais-tu être Axel ? C’est un homme, et tu es une femme… Grands dieux ! Plus homme que lui et plus femme que toi…

- Axel était un homme… C’est affreux, c’est horrible ; je veux disparaître…

- Disparaître ?

- Oh, je ne sais pas, je ne sais plus, je voudrais m’enfuir, me cacher ; ou je préférerais en finir ; oui, je crois que je préférerais mourir.

 

La fille a un geste pour désigner son corps :

 

- Regarde-moi ! Tu pars te balader en forêt et tu reviens chez toi avec un corps de bimbo. Un cauchemar ! Le pire des cauchemars ! C’est pas possible je vais me réveiller.

 

Elle se met à sangloter, la tête basse et les gros seins tremblotant doucement. Eléa relève le visage de la fille et dégage un peu ses cheveux ; les yeux rougis par les larmes ont une expression authentiquement désespérée. Manifestement, elle croit ce qu’elle dit. Et Axel qui demeure introuvable ; faut-il appeler la police ? Et s’il était juste sorti ? Incertaine, Eléa éprouve le besoin de pousser la fille au bout de son délire :

 

- Et comment tout ça se serait passé, d’après toi ?

- C’est pas la peine, personne ne peut croire une chose pareille.

- Raconte toujours…

 

Il s’avère que deux jours auparavant, Axel a voulu faire une balade en forêt. Et c’est vrai qu’il aime beaucoup ça. Il marche donc un petit moment avec une trique, la tête dans les nuages… Tout à coup, à la limite de son champ de vision, un mouvement, un sifflement, quelque chose d’agressif, de méchant. Il vient de déranger deux serpents accouplés ; il a bien failli marcher sur les queues entrelacées. Le plus gros des deux, le mâle sans doute, s’est aussitôt dégagé et s’est dressé, menaçant. Sans réfléchir, Axel a déjà frappé de sa trique ; il a raté l’agresseur mais il a atteint la femelle derrière la tête et lui a brisé la colonne vertébrale. L’homme reste là, incertain, tandis que le serpent survivant se replie, non sans longuement effleurer le corps de sa compagne, comme pour constater le désastre.

Au fond Axel est sincèrement désolé ; il a été pris par surprise, sa peur et ses réflexes ont fait le reste. Dégoûté, il jette sa trique au loin. C’est son dernier souvenir en tant qu’homme.

Lorsqu’il se réveille, il fait nuit. D’abord, il a cru rêver de chants de grillons, de moustiques, de crapauds. L’herbe contre son nez a une odeur si caractéristique, la mousse une consistance si proche du réel. Il se dresse à demi :

 

- Mais qu’est-ce que je fous ici, moi ?

 

Il a parlé tout haut, mais il n’a pas reconnu sa voix. Quand il se met debout, l’altitude n’est pas la bonne, des cheveux lui caressent les joues, une pesanteur curieuse afflige sa poitrine, mais n’ayant pas encore fini d’émerger, il ne cherche pas plus loin et se met en route comme un automate. Il s’étale de tout son long deux pas plus loin, les pieds entortillés dans son pantalon. Il prend alors conscience que sa ceinture taille basse lui vrille les hanches ; il la remonte jusqu’à la taille, mais son pantalon baille largement.

 

- Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

 

C’est là qu’en baissant le nez, il voit. Ou plus exactement, il ne voit plus. Il ne voit plus ni sa ceinture ni ses pieds. Il y a sous son nez comme une enflure qui déforme son chandail. Incrédule il le soulève et constate l’impossible : il est pourvu d’une paire d’énormes nichons ; ils se balancent à peine dans le calme de la nuit, leur pâleur ressort au clair de lune.

Tenant hautes les jambes de son pantalon, il se dirige vers sa voiture, cherchant son chemin dans la nuit. Il tente d’abord d’arpenter le bois à grands pas, comme à l’accoutumée, mais il a l’impression de ne pas avancer ; poussé par une franche panique, il veut se mettre au pas de course. Alors il apprend deux choses : les gros seins sans soutien - et pour cause - qui ondoient au rythme de sa foulée sont un handicap ; ensuite il lui faut rapidement s’appuyer contre un arbre, le temps de souffler et de récupérer, pressant sa main sur sa poitrine en feu. Il n’a manifestement plus les mêmes ressources physiques.

A la fin il a retrouvé sa voiture et il est rentré à la maison, en proie au désespoir le plus profond. Depuis deux jours il fait connaissance avec sa féminité. Il ne répond plus au téléphone, n’ouvre plus la porte, ne sort plus. Hier, lui qui jamais ne buvait a fini par trouver refuge dans l’alcool, voilà, elle sait tout.

Eléa regarde sans mot dire cette folle qui dit être son mec. Toutes ces fadaises ont un tel accent de vérité… Mais comment croire à de telles balivernes ? Comment imaginer que le grand garçon brun au torse délicatement velu, aux yeux verts, à la virilité si endurante, comment croire que l’athlète figurant sur la photo qui orne (tiens ! où est-elle passée ?) sa table de nuit - Eléa et ses deux cousines, elle perchée sur les épaules et une sur chaque bras d’Axel : des petits gabarits, comme elle, mais enfin, 172 kg de filles, vérification faite, il faut quand même les porter - ait pu se transformer en cette pétasse pleine de rondeurs, cheveux filasses et seins obèses ?

 

- Bon, j’appelle les flics !

- Non, arrête, arrête, surtout pas ! Écoute ! Interroge-moi ! Il y a des trucs entre toi et moi qu’on est les seuls à savoir. Tu vas bien voir que c’est moi.

 

Elle commence par lui demander comment ils se sont connus et quand. Évidemment la fille sait, mais ça ne prouve rien ; Eléa cherche mieux.

 

- Qu’est-ce qu’il y avait comme décoration sur ma culotte, le jour où tu m’as déshabillée la première fois ?

- Un petit canard jaune

 

Merde alors ! Elle est ébranlée.

 

- Et… de quelle couleur était celle que je portais aux fiançailles de Claudine, ma cousine ?

- Elle était bien blanche, mais tu ne la portais pas ; on s’est arrêté en chemin pour faire l’amour, elle est tombée par terre, on l’a salie sans faire attention et tu ne l’as pas remise.

- Mon Dieu !

 

Effrayée, la main sur la bouche, Eléa ne peut qu’approuver et en tirer les conséquences qui s’imposent.

 

- Attends, autre chose : un petit détail, quelque chose que tu n’aurais pas pu apprendre pour te faire passer pour Axel. On ne peut quand même pas tout savoir par cœur… Voilà, j’y suis : à la mer il y a deux ans, tu m’as montré une fille superbe, qui te plaisait énormément ; moi je sais pourtant que tu ne l’aurais jamais touchée, même avec des pincettes. Pourquoi ?

- Je m’en souviens, elle était adorable et s’appelait Mathilda. Elle avait environ trois ans et jouait avec un petit bateau, nue dans une flaque laissée par la marée : trop mignonne… Je t’ai même dit que j’aimerais que notre fille lui ressemble.

 

A tâtons, Eléa cherche une chaise derrière elle pour s’asseoir. Puis elle demeure prostrée dans un profond silence. Enfin elle regarde la fille et a comme une inspiration :

 

- Qu’est-ce que tu as mangé depuis deux jours ?

 

Pour toute réponse, elle hausse les épaules.

 

- Le whisky c’est pas une nourriture…

 

Elle se lève, franchit la porte, se ravise, revient la prendre par la main.

 

- C’est plus fort que moi, je n’arrive pas encore à me convaincre, mais… dis, je ne peux quand même pas t’appeler Axel ?

- Au début je n’avais aucun souvenir, comment dire ? Aucune référence de femme. Mais c’est bizarre, on dirait que ça arrive petit à petit dans ma tête. Je pense que tu peux m’appeler Axelle avec 2 l.

- Axelle hein ? Au moins, ça ne change pas grand chose. Dis, tu ne pourrais pas t’habiller un peu ? Tu m’intimides, là avec tous tes accessoires à l’air. Attends je vais te donner quelque chose.

 

Elle la regarde :

 

- Le problème c’est que je ne suis pas bien haute. Toi, tu es plus grande et plus… forte. Bon, je dois pouvoir te trouver un ou deux trucs quand même.

 

Après quelques essais infructueux, Axel-Axelle parvient à faire entrer ses richesses dans une jupe ample qu’Eléa ne mettait plus depuis longtemps ; pour le haut, il faut aller chercher un sweet dans l’armoire d’Axel.

 

- Je veux pas d’une jupe moi !

- Tu m’as regardée ? T’as vu comme t’es fait ? Enfin… faite ? Tu ne rentreras ni dans mes shorts, ni dans mes jeans ! On ne peut pas dire, mon pauvre vieux, tu as été servi ! Tu vas avoir du mal à t’habiller tu sais… Demain on ira acheter des vêtements à ta taille ; et puis des soutiens-gorge ! On ne peut pas te laisser comme ça ! Une poitrine pareille, ça se ménage. Sans compter qu’à la longue, tu ne vas pas te sentir bien ! Mon pauvre chéri…

- Ca va mieux, je m’habitue… Mais c’est vrai que c’est lourd ! Ca pèse, c’est dingue.

- Et encore ! Ils sont bien toniques ! Mais si ta nouvelle « situation » devait durer, en prenant de l’âge ils vont…

- Holà ! De l’âge, de l’âge… J’ai pas envie de prendre mes quartiers dans un corps de nana ! J’espère qu’on va quand même revenir à la normale un jour ! Mais c’est quoi ? Un sort qu’un sorcier vaudou m’a lancé ? Peut-être que si on allait voir…

 

Eléa l’interrompt dans une exclamation :

 

- Ce que c’est ? Attends ! Tu m’as bien parlé de serpent ? Quelque chose me revient à l’esprit. Oui, attends un peu…

 

Elle part fouiller dans la bibliothèque. Axel-Axelle la suit comme un toutou.

 

- Je suis sûre d’avoir lu quelque chose là-dessus il n’y a pas si longtemps. C’était dans une revue littéraire… Voilà ! Ce bouquin-là ! Une collègue y a écrit un article sur le sexe dans la littérature… C’est Lucie, tu sais, je t’ai déjà parlé d’elle. Ca y est, j’y suis !

 

De l’index, Eléa parcourt l’article en diagonale, la jolie blonde échevelée plantée derrière elle, le museau attentif, tentant de suivre les opérations.

 

- Voilà, c’est là… Oh, oui ! Écoute ça :

 

Beaucoup d'histoires ou de légendes salaces, inventées par les hommes et confrontant les femmes à des situations maximalistes, portent la marque d'un déséquilibre, voire d'une démesure où le discours érotique trouve une occasion privilégiée de fonctionnement, mais qui met douloureusement en question, comme à plaisir, les ressources de la masculinité. Pasiphaé et son taureau constituent sans nul doute l'un des exemples les plus édifiants en la matière. La mythologie grecque inciterait-elle, en quelque sorte, tout homme à la modestie ? Mais elle n'en demeure pas au stade du fantasme anatomique ; elle affronte également la question du partage du plaisir au sein du couple, en désignant la femme comme le grand bénéficiaire de ce qu’il est convenu d’appeler l'acte d'amour.

Rappelons comment Zeus soutint devant Héra que le plaisir éprouvé par la femme était plus intense que celui de l'homme, tandis qu'Héra prétendait le contraire. Ils s'adressèrent alors à Tirésias, un homme qui, pour avoir tué un serpent femelle lors de son accouplement, était devenu femme ; il n'avait retrouvé sa virilité que sept ans plus tard, après avoir tué le mâle. Il avait par conséquent connu les deux faces du monde… Sa réponse fut sans ambages : le plaisir de la femme était neuf fois supérieur à celui de l'homme. Pour le punir d'avoir trahi le secret des femmes, Héra le condamna à la cécité. En compensation, Zeus lui accorda le don de divination

 

- Nous y voilà ! Tu envoies ad patres un serpent femelle en train de copuler, après quoi tu le remplaces dans l’univers féminin et tu te transformes en femme… C’est une très, très vieille histoire, comme tu peux en juger. Mon pauvre chéri, ce n’est pas de ta faute, tu ne pouvais pas savoir qu’il s’agissait d’un serpent mythologique ! Bon, en l’occurrence tout n’est pas négatif ! Tu vas pouvoir m’apprendre qui, des hommes ou des femmes, a le plus de plaisir durant l’amour. Mais tu me glisseras ça au creux de l’oreille, d’accord ? Ce n’est vraiment pas le moment de t’attirer les foudres de la déesse !

 

Pour la première fois, le sourire était revenu sur leurs lèvres. En somme, très confusément et très égoïstement, elle s’imaginait qu’elle ne l’avait pas vraiment perdu. Mais Axel-Axelle recommença à renifler en baissant le nez :

 

- Sept ans à trimbaler cette énorme poitrine ?

- Et attends d’avoir tes règles… Bienvenue au club ! Bon, sept ans pas forcément, il faut juste que tu cherches le mâle pour lui faire son affaire… Seulement ça peut aussi prendre plus de sept ans ! Il doit être loin à l’heure qu’il est ! Comment le retrouver ?

- En somme, selon toi, il faut que je me prépare à l’idée de terminer ma vie en femme ?

- Qu’est-ce que c’est que ce ton ? C’est super d’être une nana ! Et puis je te rappelle que les très gros seins, tu adorais ça ! Bien sûr, tu ne m’as jamais fait de reproches, mais j’en étais parfois un peu complexée.

- Oui, eh bien, ils m’intéressent beaucoup moins tout à coup.

 

Avec le recul du temps, Eléa aurait pu comprendre qu’elle s’était méprise sur le sens profond de cette phrase. Pour l’heure elle ne cherchait pas si loin. Elle prit son compagnon par la main :

 

- Viens, je vais te faire à manger.

 

Arrive le moment de se coucher. Axelle s’installe tout naturellement à la place d’Axel, Eléa, une lueur amusée dans le regard, la laisse faire. Ils discutent encore un moment, puis éteignent.

Brusquement Eléa rallume et se dresse dans le lit, hors d’elle :

 

- N’y pense pas, tu m’entends, n’y pense même pas !

- Mais… Eléa, je suis encore ton Axel quelque part ; et j’ai envie de toi.

 

Elle a prononcé la dernière phrase la tête basse, dans un murmure, de façon quasiment imperceptible.

 

- Ferme-la ! Je ne veux même pas t’entendre ! Je ne mange pas de ce pain-là et tu le sais très bien ; je n’aurais pas honte d’ailleurs, si c’était le cas. Mais c’est pas le cas !

- Eléa, laisse-toi faire… C’est toujours moi tu sais.

 

Fâchée, elle a sauté en bas du lit et menace la jolie blonde du doigt :

 

- Moi j’aime les hommes, tu entends ? Les vrais, avec des muscles, des poils et une bite ; une bien grosse autant que possible, et qui bande bien, et pendant longtemps. Et j’en n’ai rien à foutre des mijaurées pleurnichardes, ni des grosses vaches avec un cul tout gras et des… et des…

Elle a un geste pour désigner les gros seins qui, pour l’heure, s’animent de la respiration précipitée de la pauvre Axelle ; elle cherche une formule blessante qu’elle prononce dans un rictus de mépris :

 

- …des gros pis obscènes !

 

Axelle, assise dans le lit, le regard dans le vague, constate amèrement :

 

- J’hérite d’un corps de femme dont je ne veux pas, et en plus, il faut qu’il soit dégueulace.

 

Elle éteint et se tourne simplement de l’autre côté. Eléa prélève une couverture dans l’armoire et se positionne dans le fauteuil. Sa lampe de chevet est restée allumée, elle réfléchit. En fait, elle se maudit d’avoir cédé à la panique en sentant les doigts d’Axelle qui cherchaient à prendre possession de son sexe. Elle a été extrêmement blessante et pour pas grand chose, avec cette pauvre… créature qui vient d’en voir de bien dures…

Axelle, sans doute brisée par toutes ces émotions, s’est finalement endormie. Elle se tourne dans son sommeil, dénudée jusqu’à la taille. Eléa sourit. Comme elle a été injuste… Cette nana est une pure merveille : peau veloutée, cheveux souples et ondulés, chair ferme et pleine, avec en prime cette paire de seins exceptionnels ! Dommage qu’Axelle soit demeurée accroc aux filles, elle aurait fait un tabac chez les garçons !

En attendant, tout ça ne lui rend pas son Axel ! Quelle histoire incroyable quand même ! Est-il possible qu’un même individu… ? Intriguée, Eléa s’approche de la fille endormie pour la détailler ; alors il lui semble percevoir comme une vague ressemblance, quelque chose qui pourrait exister entre un frère et une sœur. Elle ne peut s’empêcher de murmurer :

 

- Mais oui… mais oui, c’est bien toi.

 

Elle voit son Axel tout à coup, elle le devine, elle le sent. Elle reconnaît l’ossature du visage mâle, comme englué dans les pièges tendus par la douceur de la féminité : le nez droit, les arcades bien dégagées, les pommettes hautes et saillantes qui lui donnent des yeux en amandes, la mâchoire énergique, tout Axel est là, mais comme atténué par la finesse des traits et par la délicatesse subtile de la chair.

Autant son amour avait été viril et physiquement impeccable dans sa masculinité, autant Axelle est féminine et parfaite dans la rondeur et la grâce. Ce sont deux jumeaux, deux chefs d’œuvre dessinés par un même architecte au profit de l’aristocratie de la création, ce sont les deux versants d’une même montagne.

 

- Toi, ma garce, une fois bien coiffée, avec un peu de maquillage, tu vas être exceptionnelle ! Il ne fera pas bon se mesurer à toi !

 

Alors Eléa se laisse aller au souvenir ; elle a tant aimé passer les doigts dans les poils de sa poitrine, poser sur son visage les mains élégantes, leur donner des baisers et sucer les longs doigts nerveux. Comme elle a aimé calibrer les fesses musclées de son amant, s’accrocher à sa verge massive… Est-il possible que tout cela trouve une fin aussi rocambolesque ?

Elle se surprend à se caresser en regardant Axelle endormie, cherchant les petits signes qui lui permettent d’identifier son homme dans le corps de la rivale. Ce sont surtout l’angle de sa mâchoire, le nez et le dessin des paupières closes qui l’aident dans sa tâche. Alors, assise devant l’endormie, sa main contre son pubis, ses doigts agiles disparaissant dans son entrejambes, Eléa se masturbe.

Cela lui était parfois arrivé durant son adolescence, ou quand elle était seule et que son sexe exigeait une ration de câlins et de nourriture que la jeune femme se refusait à prendre chez n’importe qui, n’importe comment.

Son désir de lui est demeuré si fort qu’elle se sent bientôt inondée, ses doigts clapotant dans sa mouille ; mais elle repousse interminablement la conclusion, comme avec son Axel quand il la dévorait et qu’elle s’acharnait à ne pas jouir, pour le plaisir de prolonger encore et encore la caresse, la complicité, l’entente, l’amour. Elle éprouvait ensuite le besoin de se faire pardonner :

 

- J’ai été dure avec toi, hein ?

 

Alors il lui adressait le large et franc sourire qui la désarmait toujours :

 

- C’est comme ça que ça marche, non ?

 

A cette évocation elle le voit, là, devant elle ; instantanément elle déclenche son orgasme.

Le lendemain matin, Axelle s’éveille la première et trouve Eléa à côté d’elle. Elle fait mine de la toucher mais retient son geste.

 

- Allez, tu peux me caresser, mais juste les cheveux, d’accord ?

- Je te dégoûte, je sais !

- Non, pas du tout. Je t’ai dit des choses horribles. Écoute, il est superbe ton corps de fille ; réellement superbe ; enfin, dans son genre… Mais tu comprends pourquoi il ne me dit rien ?

- Oui, je comprends, mais ça ne fait pas mon affaire ! En ce moment, si j’avais encore mon corps d’homme…

- Ne restons pas au lit ; d’abord un bon petit déjeuner et puis on va t’acheter des fringues. Enfin, j’irai, moi ; tu ne peux pas sortir comme ça. Commence par te laver les cheveux et coiffe-toi ; tu trouveras du démêlant à droite dans l’armoire.

- Du quoi ?

- Ouais, je vois… Ca ne va pas être simple ! Attends, je vais m’occuper de toi. Il va falloir aussi que je t’enseigne l’art du maquillage. Et puis tu vas découvrir les tampons. Tu vas voir, tu vas apprécier.

 

Ce ne fut pas une mince affaire, mais Eléa parvint à donner un aspect correct à la tignasse blonde.

 

- Et maintenant, le grand moment est arrivé, on va prendre tes mesures. J’ai un peu peur de ce qu’on va trouver…

 

Eléa part chercher son mètre de couturière. Elle place d’abord le ruban sous les seins majestueux :

 

- Respire fort… 76 cm

 

Puis elle applique le ruban au point le plus fort :

 

- Respire… 101 ! Impressionnant ! Voyons… 25 centimètres d’écart, du combien ça nous fait ?

 

Elle ouvre son PC, effectue une recherche sur les tailles de lingerie féminine.

 

- Tu ne le sais pas ?

- Moi je sais ce qu’il me faut. Comment tu veux que je connaisse la taille pour un corps qui n’a rien à voir avec le mien ? Nom d’un chien ! Il faut que je te prenne du 90 G ! Je te préviens, on n’en trouve pas partout ! Tour de taille… 63. Tour de hanches… 92… Et à l’endroit le plus fort… Sacrée paire de fesses, dis donc ! T’es toute ronde ; on dirait pas comme ça… 102. Voyons un peu… Ah, je t’annonce une mauvaise nouvelle, en tant que femme, tu n’existes pas.

- Comment ça ?

- Oui, une nana d’un mètre soixante-huit qui fait du 44 en haut, du 36 au milieu et du 42 en bas, ça n’a pas été prévu par l’industrie de la confection. Bien fait pour toi, ça t’apprendra à être un fantasme vivant !

- Qu’est-ce qu’on va faire ?

- Pour commencer je vais te prendre deux bons bustiers pour maintenir tout ça et ménager l’avenir, après je vais t’acheter des hauts et des bas séparément. Ensuite si tu veux une robe ou un tailleur ajustés, tu prendras tout en 44 et on feras reprendre au niveau de la taille et des hanches. Si un jour on a des sous, tu t’habilleras sur mesure.

- Hé, ça va coûter la peau des fesses !

 

Elle sourit gentiment en lui flattant la joue.

 

- Faut toujours réfléchir avant de tuer des serpents femelles en train de copuler.

 

Il fallut enfin qu’Eléa force Axelle à sortir, car Axel, lui, n’osait pas. Elle lui avait choisi des trucs pas trop voyants, mais la blondinette avait du mal à cacher ses formes. Elle ne tarda pas à se rendre compte de l’effet qu’elle produisait sur ses contemporains :

 

- Tous ces mecs qui me dévisagent… C’est gênant, c’est même angoissant. On dirait qu’ils veulent me bouffer !

- Ah, parce que tu crois qu’ils n’en ont qu’à ton visage ? Tu ne les vois pas se retourner ! Bienvenue au club ! En attendant, moi, à côté de toi, je fais un vrai bide ; pourtant d’habitude, j’ai mon petit succès.

 

Bref, la vie s’organisa sur des bases nouvelles. Eléa, en son fort intérieur, s’étonnait tout de même de l’adaptabilité d’Axel ; il aurait dû sombrer dans une déprime abominable, or apparemment, il se faisait à sa nouvelle condition. Il intégrait peu à peu son corps de femme avec une sérénité parfois déconcertante, un peu comme si le nouveau corps était en train de refaçonner l’individu. Mais le plus étrange était encore à venir.

 

 

II

 

Par un heureux hasard, durant tous ces événements, Axel était en congé. Le plus gros de la crise étant passé, il s’inquiéta de son travail et de son emploi. Il était informaticien dans le service Recherche et Développement d’une boîte de montage industriel.

 

- Comment vais-je pouvoir retourner au bureau d’études ? Et puis les gens vont me chercher ! Ils vont s’inquiéter, il y aura une enquête, comme si j’avais disparu. Mon Dieu ! J’ose à peine imaginer. Et c’est vrai qu’il ne me reste que peu de famille, mais nos amis ? Juliette ? Pierre ? Jessica, et Matilda, et les autres ? Sans compter que je n’ai pas d’identité en tant que femme… Et la Sécu, si je suis malade ? Mais c’est l’horreur ! L’horreur…

 

Elle se mit à sangloter, la tête dans les mains. Eléa nota avec irritation cette propension d’Axelle aux larmes faciles, et avec amusement le fait qu’elle prenait bien garde à ne pas se décoiffer quand elle pleurait. Malgré tout, elle ne sut quoi répondre ; elle se contenta donc de s’asseoir à côté d’elle et de serrer dans ses bras le corps doux et chaud. Elle eut un peu de mal à refouler la bouffée d’un désir confus dont elle ne voulait pas. Ce fut le hasard qui, le jour même, révéla de quoi l’avenir serait fait.

Ce soir-là, elles décidèrent d’aller manger dans une auberge où tous deux avaient souvent dîné en amoureux. A vrai dire, l’idée révulsait Eléa, c’était comme une profanation. Mais Axelle y tenait beaucoup… Au retour, Axel avait voulu conduire ; c’est donc Axelle qui se mit au volant. Au milieu d’un village, les voilà qui tombent sur un barrage filtrant : il faut souffler dans le ballon. Pour le gendarme ce sont deux femmes comme les autres.

La conductrice souffle donc ; elle n’a pas bu grand chose, mais les 62 kilos d’Axelle ne valent pas les 80 d’Axel pour éponger l’alcool. Elle se retrouve à la limite. Le gendarme les fixe un moment, ses yeux, évidemment, s’attardent sur les richesses d’Axelle, moulées dans un cache cœur noir. Ostensiblement, celle-ci soupire. C’est une erreur. L’homme se sent agressé et, au lieu de se laisser gentiment subjuguer par cette somptueuse paire de nichons, il fronce les sourcils.

Sale garce, ça t’apprendra avec ce cache cœur à la con ! Je t’avais pourtant avertie ! pense instantanément Eléa ; en attendant ça ne fait pas notre affaire….

 

- Vous êtes juste à la limite, et même un poil au-delà... Vos papiers s’il vous plaît !

 

Eléa tente d’offrir les siens : autre réflexe maladroit, le gendarme s’enferme dans ses soupçons. Pas fou le mec ! Si ça se trouve, il nous prend pour deux putes en goguette…

 

- C’est que… mes papiers…

- Allons, hâtez-vous !

- Mais avec mon frère on a échangé nos voitures et je me demande si je n’ai pas les siens…

- Envoyez toujours…

- Axelle, fouillant dans son sac, s’exécute et, plus morte que vive, donne le permis de conduire d’Axel.

- Rouillet Axelle … Ben non, ils sont à vous ces papiers.

 

Il la dévisage et se reporte au document.

 

- Elle est très floue la photo. C’est étonnant qu’ils l’aient acceptée à la préfecture…

 

Il va examiner le permis à la lueur des phares et revient :

 

- Bon, ça a l’air en ordre.

 

Il fait souffler Eléa qui n’a quasiment rien bu. Il lui demande de prendre le volant et elles peuvent repartir. Fébrilement, Axelle vide le portefeuille d’Axel sur sa jupette et passe ses papiers en revue : tous sont au nom d’Axelle, tous portent la photo un peu floue d’une jolie blonde…

 

- On dirait… C’est comme si tu avais changé une partie du monde en tuant ce serpent. Tu as remis plein de choses en question, tout ce qui te concerne a été modifié, en amont, et probablement aussi en aval.

- En amont ? En aval ? Comprends pas.

- Oui, ton passé, ton avenir… On est dans une autre configuration du réel ou Axel n’a jamais existé, sinon dans ma mémoire ; et dans la tienne, bien sûr. Je sens que je vais en devenir folle !

 

Axelle n’ose pas lui révéler qu’Axel commence à n’être qu’un aimable souvenir ; elle n’ose pas lui avouer à quelle allure il continue de s’éloigner, à quel point elle se sent bien dans sa nouvelle peau ; si bien…

Le lendemain, pour en avoir le cœur net, elles téléphonent à deux ou trois connaissances, dont Juliette, qui ne manifeste aucune surprise lorsqu’Axelle est mentionnée ; dans quelques jours, elle demandera de ses nouvelles… Pour finir, Eléa appelle madame Girard, une institutrice retraitée avec laquelle Axel est demeuré en contact depuis le CM 1 :

 

- Madame, je suis à la recherche d’un garçon nommé Axel Rouillet ; une de vos anciennes élèves m’a dit que vous le connaissiez et que vous saviez sûrement où le toucher.

- Rouillet ? Axel vous dites ? Oui, bien sûr que ça me dit quelque chose… Mais c’est très curieux parce que… Attendez je vérifie… Vous comprenez, après toutes ces années ! Voyez-vous, moi je me rappelle très bien une Axelle Rouillet ; une petite blonde un peu coquine mais très gentille. Sa sœur peut-être ? Voilà, j’ai trouvé, je vous donne ce que j’ai…

 

Ce fut leur propre adresse et leur propre numéro de téléphone.

 

- Incroyable ! Axel est comme effacé et remplacé partout. Dans quelque temps il ne subsistera aucune trace de lui.

- C’est ce que je disais : une autre configuration du monde s’est mise en place. Tu as modifié le cosmos…

- Espérons qu’on peut défaire ce qui a été fait.

 

Cette nuit-là, au lit, dans le noir, Axelle déclare à Eléa qu’elle n’y tient plus. La frustration est trop pénible. Elle est jeune, forte, elle a hérité des désirs de toute jeune femme en bonne santé, il n’y a aucune raison légitime pour qu’elle se prive de faire l’amour.

La mort dans l’âme, Eléa consent à se laisser toucher. En fait, cette personne est bel et bien son Axel, or au nom de son amour pour lui, elle aurait accepté beaucoup de choses sans sourciller. Par exemple il aurait pu perdre une main, ou la vue, ou être amputé des deux jambes à la suite d’un accident, et ça n’aurait strictement rien changé pour elle. Alors pourquoi faire autant d’histoires avec cette femme ? Elle choisit donc d’affronter la situation dans ces termes-là, ne redoutant qu’une chose, le dégoût physique. Elle se réconforte en se demandant comment quelque chose venant de son Axel pourrait bien la dégoûter...

En fait, Eléa s’attend à une attaque masculine en règle. Alors elle qui n’aime que les muscles, les poils et les saillies, s’arme du courage qui lui semble nécessaire pour affronter le contact des mains d’Axelle , la douceur de ses lèvres, la tendresse de sa chair, l’élasticité douillette et chaude de ses gros nichons, le moelleux de ses fesses, l’humidité de son ventre. Elle se trouve donc totalement déconcertée quand celle-ci se blottit contre elle, écrasant les abondances de sa poitrine contre la sienne et lui donnant de doux baisers dans le cou.

En réalité dans cette histoire, Eléa espérait pouvoir continuer à jouer son rôle de femme avec une Axelle animée des désirs d’Axel. Elle souhaitait d’ailleurs très confusément obtenir quelque chose de la curiosité des doigts de l’androgyne. Or voilà qu’elle se trouve face à une femelle bien née attendant manifestement qu’elle prenne les choses en main. Elle ne sait trop que faire. Curieusement, elle n’est pas vraiment dégoûtée par le contact de la chair féminine ; peut-être a-t-elle eu le temps de s’habituer à sa nouvelle compagne ? Une chose est certaine, elle ne la désire pas ; pourtant elle a envie de lui faire plaisir. Mais comment diable fait-on l’amour à une femme ?

Là encore, elle s’aide de ses souvenirs. Elle ferme les yeux ; elle essaie de faire en sorte que le phantasme d’Axel plane alentour, comme quand elle se masturbe. Les mains d’Eléa s’activent d’abord prudemment le long du dos bien lisse, mais une autre petite main, impatiente, s’empare bientôt de la sienne et, d’autorité, la fait descendre jusqu’aux fesses. C’est une découverte ! Un vrai choc ! Jamais encore elle n’a touché une rondeur aussi vaste, aussi ample, douce, bombée, moelleuse. Par simple jeu, sinon par curiosité, ses doigts s’enfoncent profondément et se crispent dans la chair dodue.

 

- Aïe, doucement ! Je vais avoir des bleus. S’il te plaît suce-moi les seins, j’ai envie.

 

Elle ajoute dans un murmure :

 

- Sois très douce, hein ! Si tu savais comme ils sont sensibles !

 

Eléa sent se rebeller la femme qui est en elle ;

 

- Mais je sais ! Qu’est-ce que tu crois ?

 

Le moment est venu, il lui faut prendre une décision ; sucer un gros nichon d’Axelle, ça veut dire le prendre délicatement entre ses mains pour le maintenir, y appliquer sa bouche, faire, de la langue, le tour de l’immense aréole rose pâle, mordiller le téton, enfoncer le visage à l’intérieur, comme dans un capitonnage douillet. C’est le renoncement à toute retenue, l’abandon de toute demi-mesure.

 

- Allez, s’il te plait ! Suce-moi les seins…

 

Les yeux clos, accrochée à sa partenaire, la superbe Axelle agite son bassin pour frotter son pubis contre la cuisse d’Eléa. Elle ne feint pas ; elle est en proie à un puissant désir de femme, qui demande prompte et entière satisfaction. Au nom d’Axel, Eléa fait ce qu’Axelle attend d’elle.

Ce n’est pas si répugnant. Moins qu’elle aurait cru, en tout cas ! La consistance des gros seins la surprend même agréablement. Leur volume, leur pesanteur : c’est très spécial, un contact inimitable. Elle comprend un peu mieux les hommes. Cela dit, ce corps dodu et tendre n’éveille en elle aucune concupiscence et son vagin demeure à peine humide. De son côté, Axelle s’excite de plus en plus et se tortille dans le lit.

 

- Prends-moi, allez, prends-moi, j’ai tellement envie…

- Te prendre ? Mais comment ?

- J’en sais rien, fais quelque chose, occupe-toi de mon minou, fais-moi jouir, quoi ! J’en peux plus d’attendre…

 

Eléa connaît cet état ; elle aussi devenait folle quand son Axel la harcelait de la bouche dans toutes ses zones sensibles, se gardant bien de rien conclure ; parfois, il se mettait même à la contempler sans plus faire quoi que ce soit, rigolard, la faisant poireauter comme une malheureuse avec son entrée en feu et son vagin dégoulinant. Elle l’aurait giflé, battu, insulté !

Alors il se remettait à l’ouvrage sans plus tarder, finissant par l’attirer dans des jouissances mystérieuses, interminables, des orgasmes à répétition qu’elle n’obtenait jamais autrement, de ceux qui se superposaient et n’en finissaient plus, inquiétants, effrayants, même, par certains côtés. A la fin c’était elle qui renonçait et se dégageait de sa bouche, comme étreinte par l’angoisse de se sentir aspirée vers un autre monde…

Fataliste, elle descend au niveau des hanches d’Axelle  qui ne cessent osciller d’avant en arrière, s’approche de son ventre qui paraît vouloir aspirer le vide :

 

- Mon pauvre Axel, comme homme, tu avais un sacré tempérament, mais comme femme… il n’y a pas à dire, on t’a vraiment gâtée !

 

Il suffit d’une légère pression et les cuisses, idéalement rondes et fermes au toucher, s’ouvrent instantanément. Eléa, en elle-même, s’inquiète : Là, je sens que ça va être dur !

Le sexe est encore recouvert par la main qui trompe l’impatience du ventre. Eléa l’écarte doucement. La légère toison blonde ne cache rien de la fleur toute rose. Elle est déjà largement ouverte, pleine de mouille, scandaleuse : une indécence de luxure délicate et vulnérable, réclamant son dû, aspirant à être dévastée.

Jamais encore Eléa n’a vu d’aussi près un sexe de femme ; ne parlons pas d’une femme prête à l’amour… Offrait-elle le même spectacle à son Axel qui, elle s’en souvient, pouvait passer de longues minutes, sourire coquin aux lèvres, à épier son minou ? Il massait d’abord les grosses lèvres en lents mouvements circulaires pour ensuite dégager les petites, l’ouvrant de deux doigts experts qu’il introduisait précautionneusement à la fin, jamais avant que la puissante mécanique du désir ait tout inondé.

De la main gauche il se concentrait alors sur son organe de plaisir, tandis qu’il la branlait gentiment de la main droite, attentif à ses réactions, guettant la moindre de ses vibrations, concentré sur son extase. Pouvait-on rêver connivence plus étroite entre un homme et une femme ?

Du coup elle se dit que ce pourrait être un compromis acceptable. Elle attaque donc le sexe d’Axelle de ses doigts inexperts. Elle sait mieux s’occuper des hommes ; au fil des expériences, elle a appris à les masturber et à les sucer avec une efficacité redoutable.

Axel en redemandait ; il appréciait beaucoup le fait qu’elle ne triche pas :

 

- La plupart des femmes, disait-il, se défilent au dernier moment ; elles te terminent à la main, évitant soigneusement la décharge finale.

 

Eléa, sentant venir la conclusion, s’appliquait à mettre à couvert le membre de son amour, du moins ce qu’elle pouvait en accueillir – elle se serait alors satisfaite d’un calibre moins impressionnant – et elle laissait que son chéri se vide en elle, ingurgitant ses fluides avec un plaisir non dissimulé. Se serait-il agi d’un autre homme, elle n’eût certainement pas agi de la sorte ! Enfin sans doute pas… Mais l’amour lui avait toujours inspiré toutes les audaces.

C’est ainsi que, mi-rêveuse mi-nostalgique, distraite, presque sans s’en apercevoir, Eléa entra dans le jeu d’Axelle. Les réactions de la jolie blonde lui semblèrent disproportionnées par rapport à la banalité de ses entreprises. Feignait-elle ? Non, il ne semblait pas. Cette fille se comportait simplement en jouisseuse totalement décomplexée.

C’est vrai aussi qu’elle n’avait jamais connu aucun des barrages de toutes sortes qui, depuis la nuit des temps, avaient été systématiquement dressés entre les filles et leur sexualité. Elle ne pouvait être qu’une femme d’une espèce inédite, une femme-nature, une femme sauvage. Eléa dit simplement, comme pour soi :

 

- Tu risques d’avoir de sérieux problèmes toi ; ou alors on en aura avec toi, ça revient au même…

- Qu’est-ce que tu dis ?

- Rien ma chérie, rien…

 

Elle se rend compte trop tard qu’elle l’a appelée « ma chérie ». Est-elle en train de virer de bord ? Deviendrait-elle homosexuelle ? Non, pas vraiment. Tout ça demeure encore en liaison étroite avec ses amours du passé. Un passé si proche… combien ? Trois semaines à peine ! Et pourtant Axel paraît désormais si loin… Non, c’est impossible, elle ne veut pas qu’il s’en aille comme ça, aussi facilement !

 

- Fais rentrer tes doigts, j’ai envie d’être pénétrée.

 

Quel épouvantable aveu ! Eléa abandonne brusquement le sexe d’Axelle, la considère sans mot dire, atterrée par la soudaine révélation. Et pourtant il faut se rendre à l’évidence ! La jolie blonde se dresse sur ses coudes :

 

- A quoi tu penses ? Viens sur moi ! Occupe-toi de moi ! Dis, on n’a pas quelque chose de long qui ferait l’affaire, quelque part ?

 

Il faut en convenir : Axel s’est éloigné à tout jamais.

 

- Oui, on a un gode, mais il n’est pas pour toi, il est pour moi. Et je vais te donner un scoop : tu es vierge !

- C’est sûr, c’est comme pour tout le reste. J’ai 27 ans, mais j’en fais dix de moins, non ? Et il me semble que mon corps est tout neuf. Comme si on pouvait naître adulte.

- Ton désir d’être pénétrée parle clair : tu n’es pas plus portée vers les femmes que moi. Alors il faut que ce soit un homme qui s’occupe de toi. Tu ne vas quand même pas gâcher un moment précieux de ta vie avec un ersatz ! Je refuse de te déflorer avec mes doigts ou avec un gode ou une banane ou je ne sais trop quoi… De notre point de vue de femmes à mecs, ce serait trop dommage ; pour lui, et surtout pour toi. Bon, je vais essayer de te donner ce que tu veux, et demain on avisera.

 

Alors Eléa s’étend sur le dos, elle prend Axelle sur elle, tête-bêche, son sexe au niveau de sa bouche. La masse impressionnante des fesses la surplombe, les douces et fortes cuisses enserrent sa tête. L’odeur du sexe en fusion lui paraît d’abord écœurante ; et toute cette mouille poisseuse ! C’est odieux ! Comment les hommes peuvent-ils aimer ça ? Mais ils aiment…

Eléa avance ses lèvres, sort sa langue, c’est doux, c’est chaud, et au fond ça n’a pas si mauvais goût. Après tout, une fois le premier contact accepté, ça n’est pas si désagréable… Eléa plonge son museau dans la blessure béante. Pour la dernière fois, l’ombre du beau et tendre Axel plane encore sur le couple étrange qui se contorsionne et se dévaste dans le lit défait.

Une fois, deux fois, dix fois, Eléa donne du plaisir à sa compagne. Puis, totalement vaincue elle se soumet à elle et consent à en recevoir.

Les deux femmes ne se séparent qu’au petit matin, complètement brisées, fourbues, éreintées, éteintes. Aucune des deux n’a besoin de parler, elles savent qu’il n’y aura jamais d’autre fois.

 

 

III

 

 

Axelle repartit au travail ; elle se sentait encore des compétences, dont elle supposait qu’Axel les avait acquises. Personne ne s’étonna de la voir. Lorsqu’elle présenta sa carte au gardien du parking, elle nota que sa photo était tout à fait nette.

Malgré sa discrétion vestimentaire, elle fut littéralement assiégée par ses collègues masculins. Chaque fois qu’Eléa passait la prendre au bureau après le travail, elle sortait systématiquement entourée de trois ou quatre mâles ; tout ce petit monde parlait et riait un peu trop fort…

Un soir, Axelle aperçut Eléa de loin. Elle dit quelques mots à un homme qui l’accompagnait, un grand type d’une quarantaine d’années, puis elle marcha jusqu’à la voiture pour dire à sa compagne qu’elle rentrerait un peu plus tard, que son patron la ramènerait…

Elle se mit effectivement à rentrer plus tard. Un beau soir qu’Eléa passait la prendre, elle eut juste le temps de la voir s’engouffrer dans une grosse berline sombre ; on lui tenait galamment la porte. Cette fois c’était un grand garçon brun : il aurait presque pu lui rappeler le passé… Il y avait d’autres personnes à l’arrière. Axelle rentra en coup de vent un peu plus tard. Eléa l’interrogea :

 

- Tu connais quelqu’un ?

- Bien sûr. Tu t’attendais à quoi ? Excuse-moi, je suis pressée, je suis juste venue me changer, on a une petite soirée entre amis et il faut que je sois sexy.

- Qu’est-ce que vous allez faire ?

- Oh, on va picoler un peu et danser… pour commencer.

- Je vois.

- Hi, hi ! Ca m’étonnerait !

 

Elle va jusqu’à l’armoire, écarte rapidement les vêtements qui ne l’intéressent pas pour sélectionner une longue robe noire à paillettes –fines bretelles et dos nu – qu’Eléa ne lui connaît pas. Axelle se débarrasse presto de son tailleur et de son chemisier, tombe le bustier sans l’ombre d’une hésitation :

 

- Pas besoin de ça ! Avec cette robe on ne peut pas tricher et le soutien-gorge en travers du dos, c’est moche ! Ce soir, on va les laisser vivre !

 

Elle marque un temps d’arrêt, puis retire aussi le tanga qui lui fait des fesses merveilleuses. Son ventre, aussi nu que celui d’une petite fille, a été entièrement débarrassé de son joli buisson blond.

 

- Voilà réglé le problème des élastiques ! On finit toujours par voir quelque chose et ça casse la ligne des fesses !

 

Elle enfile la robe en se tortillant ; les gros seins dodelinent en disparaissant sous le tissu léger, puis retrouvent leur immobilité. Ils se contentent d’ondoyer gentiment quand elle chausse ses escarpins, pourtant les minces bretelles de la robe ne leur sont d’aucun secours.

 

- Tu as une sacrée veine de pouvoir te passer de soutien avec une pareille paire de nichons… Mais où est-ce que tu vas ? Avec qui ? Pourquoi tu ne me dis rien ?

- J’ai peur de te faire de la peine. Et puis si je m’en vais, tu vas te retrouver toute seule…

- T’en aller ? Pourquoi ? Quelqu’un t’a demandé de partir avec lui ?

- Oui, et ça m’ennuie pour toi. Je ne comprends pas bien pourquoi d’ailleurs ; mais enfin je sais que ça m’ennuie.

- Il ne faut pas. Tu sais, je me rends compte que malgré tous mes efforts, Axel s’efface aussi dans mon esprit. Je suppose que pour toi…

- Je sais qu’il a existé ; je me le rappelle vaguement, comme quelqu’un qu’on a connu quand on avait 5 ans et qu’on n’a plus revu ensuite. Pour tout dire, ça m’étonne beaucoup de penser que j’aie pu un jour être quelqu’un d’autre. Si toi, tu ne me le rappelais pas constamment…

- Pauvre garçon… Effacé, rayé de la carte !

- Si tu savais à quel point ! Au boulot je suis devenue incompétente : je ne comprenais plus rien à ce que je faisais. Tu vois, c’est comme si tous mes souvenirs d’enfance et de jeunesse avaient été transférés, transvasés dans ce corps et cet esprit de fille, et qu’au passage ils aient été modifiés en conséquence.

- Oui, je comprends. Mais alors où est-ce que tu travailles ?

- Dans un autre service, disons très proche de la direction du groupe… Si tu savais comme je me trouve bien dans cette nouvelle peau… Au fait, tu avais raison. L’amour avec les hommes est une chose merveilleuse.

- Avec « les » ? Déjà ?

- Oh oui ! Et entre nanas je vais te faire une petite confidence : il y a du répondant !

 

…dit-elle en tapotant le mont de Vénus qui, promesse volcanique, s’élève à la jonction de ses cuisses, presque indécent dans la robe moulante.

 

- J’espère que tu sais ce que tu fais et que tu ne mènes pas une vie dangereuse. C’est que tu es splendide. Il faut que tu prennes garde à toi. Ce ne sont pas les requins qui manquent !

 

Axelle sourit avec une espèce d’indulgence qui fait frémir Eléa :

 

- Oui, maman. Sauf que le prédateur, c’est moi. A vrai dire, je ne pense pas que tu apprécierais beaucoup le genre de vie que j’ai commencé à mener, mais moi je m’y trouve très à l’aise. Alors me ranger… une famille… des enfants… Oui, sans doute, avant que ce joli corps parte en quenouille, mais on a tout le temps d’y penser ! Et d’ici là… Allez, je me sauve. Ne m’attends pas cette nuit. Heu… pour le reste…

 

Un tout petit coup de klaxon résonne au dehors.

 

- Écoute, on m’attend. On reparle de tout ça, d’accord ?

 

Elle trotte sur ses hauts talons, sa poitrine et son popotin tressautent dans le fourreau lamé. Autant de pièges qui vont se refermer sur les hommes… Avec des valses ou des tangos, il n’y aura pas trop de chair en mouvement, mais si elle doit danser le rock, ça va être un feu d’artifice ! La porte se ferme, les hauts talons résonnent sur le macadam, une portière claque, une voiture démarre…

Eléa, abasourdie, reste là, immobile, comme égarée, à écouter le silence. D’abord elle tourne un peu en rond, incertaine ; dans sa chambre elle tombe sur un cadre idiot où quatre filles tentent de faire la pyramide sur une plage… Pourquoi avoir encadré ça ? Elle hausse les épaules puis elle va à la cuisine, prend quelque chose dans le placard, revient au salon et se carre dans un fauteuil.

La télé s’allume sur un match de foot. Elle n’aime pas ça, mais elle ne se soucie pas de changer de chaîne. La tête vide, la gorge vaguement serrée, les mains glacées, elle se contente d’ouvrir son paquet de chips.

 

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Tag der Veröffentlichung: 18.05.2019

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