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Leseprobe

 

 

 

 

K. KLAASEN

 

 

JOUR DE PLUIE

 

Un Thriller Noir

 

 

 

 

 

 

Apex-Verlag

Table des matières

Le Livre 

JOURS DE PLUIE 

PREMIÈRE PARTIE 

DEUXIÈME PARTIE 

TROISIÈME PARTIE 

 

 

Le Livre

L’écrivain Kolb souffre d’un blocage d’écriture particulièrement malvenu.  

Il n’a plus que quatre semaines pour rendre le manuscrit de son nouveau roman dont son éditeur a d’ores et déjà annoncé la parution à grand renfort de promotion.

Il se rend sur l’île de Rügen pour écrire. Or, à peine arrivé, le voilà accusé de meurtre.

Pris dans l’engrenage de la justice, Kolb s’enfuit pour retrouver un suspect nommé Pascal Leblanc.

C’est le début d’une une odyssée de suspicions et d’angoisses. Au cours de son errance, Kolb réalise qu’il est aussi en quête de lui-même. 

A Zurich, la descente aux enfers continue. Ses valeurs intérieures, les aspects positifs de sa personnalité, s’inversent et font de lui un chasseur impitoyable.  

Kolb est-il sur la piste de l’assassin ? Ou tourne-t-il en rond ? 

La traque le conduit à Zandvoort – Haarlem, près de Scheveningen, où il rencontre la prostituée Liecke Vock. Le cauchemar ne fait que commencer... 

   JOURS DE PLUIE

 

 

 

 

 

 

  PREMIÈRE PARTIE

 

 

 

  Afin de surmonter un blocage d’écriture persistant, l’écrivain de romans policiers B.B. Kolb avait décidé de se mettre au vert. Pour cela, il avait loué une chambre à la pension «Villa Seegarten», dans la petite ville côtière de Lohme, sur l’île de Rügen. Son éditeur lui avait accordé un dernier sursis de quatre semaines pour la remise du manuscrit de son nouveau roman. Kolb, qui avait déjà encaissé une première avance, était dans l’obligation d’honorer cette échéance. Il fit le trajet Hambourg – Rügen à bord d’un Cessna C172  triplace.

 

Le vol d’une heure et demie lui donna l’occasion de se détendre quelque peu et de profiter du paysage qui défilait sous ses yeux.

 

À son grand désappointement, Margit Hohn, la propriétaire de l’hôtel Villa Seegarten, le reconnut immédiatement.

«Mais vous êtes l’écrivain! Attendez, ça va me revenir... Kolb, n’est-ce pas?» 

«Vous devez me confondre avec quelqu’un d’autre», répondit-il.

Elle se dirigea vers une étagère, en retira l’un des livres qui s’y trouvaient, et examina la quatrième de couverture.

«Mais si regardez. C’est bien vous, ça, non? Juste sans la barbe.»

Kolb n’eut d’autre choix que d’acquiescer.

«C’est que... j’aimerais rester incognito, dit-il. Je suis venu ici pour écrire mon nouveau roman. Vous croyez que vous pourrez garder le secret?»

Elle fronça les sourcils, d’un air conspirateur.

«Évidemment que je peux! Mais dites-moi... ce sera un polar?»

«Nous verrons... », dit-il d’un air évasif. Puis il remplit la fiche de réception. 

Une fois installé, Kolb sortit pour faire une promenade. Au-dessus du port de Lohme, il avait repéré un petit bar, opportunément appelé «Café Mignon».

La ville de Lohme est le principal point d’entrée du parc national de Jasmund. Niché dans une baie idyllique au pied d’une colline couverte d’herbes sauvages, le café méritait effectivement son nom. L’accès se faisait par un escalier en bois, long et en pente raide, que Kolb escalada tant bien que mal. Il se remit de cet effort avec un café qu’il sirota installé sur la terrasse, en observant le manège des bateaux dans le port et en respirant l’air du large. 

 

Peu à peu, il se rendait compte à quel point il était épuisé.

La consommation régulière d’alcool et des années de virées nocturnes dans les bars de Hambourg l’avaient considérablement vieilli. Julia, sa femme, n’avait pas tiré le gros lot en le choisissant, et il en était conscient. Si leurs premières années communes avaient été illuminées par un grand amour, aujourd’hui, Kolb n’inspirait plus à sa femme que de la pitié. Les rapprochements physiques n’avaient plus lieu. Leur quotidien alternait entre disputes et mépris. Et il était le seul responsable de cette situation.

Un bateau de plaisance glissait sur les eaux de la baie. Kolb s’imagina un instant assis à son bord, avec sa femme et leur fille. Ils longeraient paisiblement la côte et admireraient ce ciel si extraordinairement bleu. Et tout serait à nouveau comme avant. Cette idée, dont l’absurdité lui était pourtant consciente, lui donna le courage d’appeler Julia. Elle décrocha dès la première sonnerie. 

«Allô? Ici Julia Kolb.»

«Ce n’est que moi...»

«Hum... tu es où?»

«Sur l’île de Rügen. Je me disais que ce serait bien de ne pas se voir pendant quelque temps. Et puis, je vais en profiter pour finir mon nouveau roman.»

«Tu es vraiment un rêveur. Et tu ne changeras plus.»

Elle fit une pause, puis elle se lança: «Je vais demander le divorce.»

La nouvelle le cueillit à froid. Elle arrivait au plus mauvais moment.

«Mais, Julia... Pourquoi?» Il tenta de maîtriser le tremblement qu’il sentait dans sa voix.

«Pourquoi? Tu oses poser la question? Mais des raisons, je peux t’en citer plein! Quand – et réfléchis bien avant de répondre – quand as-tu passé pour la dernière fois un peu de temps avec ta fille? Tu crois qu’elle est heureuse? Combien de fois tu l’as laissée tomber, alors que tu lui as toujours promis que tu serais là quand elle aurait besoin de toi? Tes compagnons de beuverie sont toujours passés avant ta famille.Tu n’aurais jamais dû devenir écrivain. Ta notoriété t’est montée à la tête.» 

«Tu as raison, Julia. Mais je vais changer. Je vais tout arranger, je veux que tout redevienne comme avant.»

«Toi, changer? C’est comme si une vache voulait apprendre à voler...»

Le clic, suivi de la tonalité, l’informa qu’elle avait raccroché. Kolb était anéanti. Le peu de confiance en lui qui lui restait venait de se réduire à la taille d’une puce. Comme les vaches, les puces ne volent pas. Mais elles savent rebondir. 

«Vous avez du cognac?», demanda-t-il à la serveuse.

«Oui, bien sûr.»

«Apportez-m’en une bouteille, s’il vous plaît. Le meilleur que vous avez.»

Kolb passa plusieurs heures, assis sur la terrasse, en éclusant un verre de cognac après l’autre. Plus il buvait, plus il se sentait malheureux. Même quelqu’un comme lui pouvait pleurer. Sans la moindre gêne, il donna libre cours à ses larmes. Et entre deux sanglots, il réalisa, avec une clarté insoutenable, qu’il venait de perdre sa famille.

Il ne reprit ses esprits que le lendemain matin, sur la berge rocailleuse du cap d’Arkona, à quinze kilomètres du port de Lohme. Il n’avait aucune idée de la façon dont il était arrivé jusqu’ici.

Par chance, un plaisancier matinal, qui sillonnait les eaux de la baie, le repéra et le prit en charge.

De retour à l’hôtel, Kolb se laissa tomber sur son lit et s’endormit aussitôt. Il ne ressortit de sa chambre que le soir venu, après une longue douche régénératrice. Margit Hohn l’intercepta dans le hall d’entrée.

«Vous êtes au courant?»

«Au courant de quoi?», demanda-t-il, toujours un peu hébété.

«Cette histoire de cadavre, dans la baie!»

«Non», fit-il avec indifférence. Il tourna les talons et sortit sur la terrasse.

Margit le suivit. Son émotion était visible. «C’est affreux, cette histoire ! Si jeune. Et maintenant...» 

«Quoi, maintenant?»

«Mais...le cadavre», répondit-elle.

«Vous ne pouvez pas vous exprimer de manière moins tarabiscotée?», fit-il avec mauvaise humeur. Les aigus de la voix de Margit exacerbaient ses maux de tête. 

Elle eut un mouvement de recul.

«Le corps d’une femme a été retrouvé dans la baie. C’est tout ce que je sais.» 

«Voilà. Ça au moins, c’est clair. Merci», dit-il dans un sursaut d’amabilité. 

Il sortit de l’hôtel et descendit la rue jusqu’à un petit restaurant. Il s’installa au comptoir et ne tarda pas à faire connaissance d’une fort jolie femme. Des yeux marron, de longs cheveux bruns et des jambes interminables. En fait, ce fut elle qui l’aborda.

«À en juger d’après votre barbe, vous êtes sur les traces de Störtebeker. Je me trompe?»

En guise de réponse, il se présenta: «Je m’appelle Kolb. Je viens de Hambourg.»

«Excusez-moi. Je m’appelle Verena Klauspitz. Je crois que j’ai déjà un peu trop bu.» 

«Alors, nous sommes deux. Quoique, pour ce qui me concerne, ça remonte à hier. Mais j’ai eu, moi aussi, le plaisir douteux de boire plus que de raison.»

«On peut savoir pourquoi?» demanda-t-elle avec une voix de cousine compatissante. Kolb était content de pouvoir bavarder un peu. Ça faisait retomber la pression qu’il ressentait.

«Je crois que j’ai perdu ma famille.»

«Ah d’accord... Vous avez envie d’en parler?»

«En fait, je ne crois pas... Parlez-moi plutôt de ce Störtebeker.»

«À Ralswiek, à quelques kilomètres au nord d’ici, il y a un théâtre de plein air où l’on joue les aventures du légendaire pirate Klaus Störtebeker. Une pièce de théâtre avec plus de 150 figurants et un feu d’artifice final au-dessus du Grosser Jasmunder Bodden.»

«Je n’en savais rien», admit-il.

Elle leva l’index.

«Ah, vous êtes ici pour vous reposer?»

«C’est exactement ça.»

Elle lui plaisait et il l’invita à faire quelques pas à l’extérieur. Il avait besoin d’un peu d’air frais. Ils se rendirent compte assez rapidement qu’ils avaient des points communs. En sa présence, Kolb se sentait comme une épingle face à un aimant qui l’attirait irrésistiblement. 

Pendant qu’ils déambulaient, elle revint à la charge:

«Vous êtes ici pour quelques jours de vacances?»

«Non, pas vraiment. J’essaie d’écrire un livre. Mais à l’heure actuelle, j’ai un blocage d’écriture qui m’empêche d’avancer.»

«Ah, mais alors vous êtes le Kolb auteur de romans policiers. J’ai lu l’un de vos bouquins, il y a quelques temps. Je connais ce genre de problème. Dans mon métier, j’ai également besoin d’inspiration et de flair. Moi aussi, je résous des affaires criminelles.»

«Vous êtes de la police?»

«Plus ou moins», fit-elle avec une moue. «Je suis profileuse.»

Kolb éclata de rire.

«Excusez-moi, je ne voulais pas vous vexer. Je pensais que...»

Ils furent interrompus par un homme à moustache, coiffé d’un chapeau, dont l’apparence rappela à Kolb le commissaire Maigret. Il avait lu son premier livre de Georges Simenon, le maître du polar, dès 1978. C’est d’ailleurs le seul roman de Simenon qu’il avait lu. Par manque de temps, puisqu’il s’était mis à l’écriture lui-même. 

«Excusez-moi», dit l’importun. «Je suis le commissaire principal Zander. Vous êtes madame Klauspitz?»

«Oui. Que se passe-t-il?»

«Votre collègue de Hambourg nous a dit que vous séjourniez sur l’île. Comme vous l’avez peut-être appris, le corps d’une femme a été retrouvé dans la baie. Je me disais que vous pourriez peut-être nous donner un coup de main. Sur l’île de Rügen, on a rarement affaire à un meurtre. Pour être précis: le dernier meurtre commis ici remonte à 50 ans.» 

Verena Klauspitz désigna Kolb et dit:

«Je vous présente... monsieur Kolb. Au fait, je ne connais pas encore votre prénom.»

«Je l’ai oublié. Ou plutôt: je l’ai chassé de ma mémoire», répondit Kolb sèchement. Il tenait à son incognito et ne voulait pas être reconnu une fois de plus.

Le commissaire principal Zander haussa les sourcils:

«Ça ne doit pas être terrible... je veux dire: votre prénom».

«Exactement», répondit Kolb avant d’enchaîner, pour détourner la conversation: «Est-ce qu’on sait déjà quelque chose sur la victime?». Zander ne répondit pas. Il savait déjà qui était son interlocuteur, mais il préférait garder ça pour lui. Il répéta: «Je peux compter sur vous, madame Klauspitz?»

Verena Klauspitz aimait apparemment les décisions rapides. Elle répondit simplement : «Oui, bien sûr.»

«Alors nous nous verrons demain, au commissariat?»

«J’y serai vers 8 heures du matin. Je vous demanderai de ne rien faire dans l’intervalle.»

Zander disparut aussi rapidement qu’il était apparu.

Verena Klauspitz regarda Kolb d’un air étonné.

«Cela ne pique pas votre curiosité?»

Il savait à quoi elle faisait allusion, mais ne se montra pas particulièrement intéressé. «En fait, non. Jusqu’à présent, il n’y a pas encore vraiment d’intrigue. Mais vous pourriez me tenir au courant. Peut-être y a-t-il a une histoire dramatique derrière cette affaire.» 

«Tous les meurtres sont dramatiques», dit-elle d’un air résolument amical. Peu de temps plus tard, ils prirent congé l’un de l’autre.

 

Kolb avait regagné sa chambre, quand quelqu’un frappa à sa porte. C’était Margit.

«Monsieur Kolb, j’ai un télégramme pour vous.»

«Merci», dit-il. Il prit la dépêche et referma la porte.

En termes choisis, son éditeur lui rappelait qu’il était temps de retrousser ses manches et de se mettre au travail séance tenante. Le message lui recommandait également de bien vouloir «cesser de picoler».

 

Kolb ne put s’empêcher de sourire. Harry était décidément un sacré numéro. Avant de se lancer dans l’édition, Harry Baumgart avait été boucher-charcutier. Mais dès son plus jeune âge, il n’avait rêvé que d’une chose: éditer des livres. À la mort de son père, il hérita de la boucherie familiale qu’il vendit du jour au lendemain pour fonder sa maison d’édition. Sa jeune entreprise rencontra aussitôt les pires difficultés. C’est la raison pour laquelle Harry Baumgart se cramponnait comme une tique à Kolb, qui était non seulement le meilleur cheval de son écurie, mais aussi le seul à même de redorer son blason terni d’éditeur. 

 

De nombreuses maisons d’édition connaissaient le même sort. Les amateurs de romans et de beaux livres se faisaient de plus en plus rares. Dans un monde dominé par l’image, à quoi bon se fatiguer à lire, quand il suffit d’allumer sa télé pour se laisser transporter par son propre cinéma mental? De nos jours, un roman doit pouvoir s’avaler en une heure et demie maximum. Les gens ne veulent plus consacrer davantage de temps à la lecture.

 

Kolb était en proie à toutes sortes de pensées. Le meurtre de cette jeune femme, notamment, ne lui sortait pas de l’esprit. Un cadavre venait d’apparaître sur sa route. Etait-ce un simple hasard ou bien un signe du destin?  

Il pensait aussi à sa rencontre avec Verena. Il avait envie de garder ce contact et de le développer, même s’il aimait toujours sa femme.

La nuit semblait ne pas vouloir finir. Il prit un livre et le feuilleta, sans réussir à trouver le sommeil. Il se tournait et se retournait, dans tous les sens. Et quand le soleil finit se lever, il n’avait pas dormi une minute de toute la nuit. Il passa sous la douche et descendit prendre son petit déjeuner. Une fois de plus, Margit se précipita vers sa table pour lui communiquer la nouvelle du jour.

 

«Le corps d’une nouvelle femme a été retrouvé dans la baie. Une toute jeune. Vous vous rendez compte, monsieur Kolb?»

Le morceau de petit pain qu’il venait de déglutir lui resta coincé dans la gorge. Non pas à cause de la nouvelle en soi, mais à cause de l’air profondément niais de Margit. Il avait l’impression d’être face à une brebis. Il n’entendait que «Bêêh, bêêh, bêêh... ».

Après son petit déjeuner, Kolb décida d’aller rendre visite au commissaire Zander. Moins à cause des meurtres que pour revoir Verena.

 

«Nous avions pourtant convenu que vous resteriez en retrait», dit Verena avec un geste d’humeur.

Zander se grattait nerveusement le nez.

«Excusez-moi, j’étais curieux. J’avais envie de voir à quoi il ressemble, cet écrivain. Qu’en pensez-vous? C’est lui, notre assassin?»

«Impossible. Donc, vous saviez qui il est?»

«Oui.»

«Ce n’est pas le genre à commettre un vrai meurtre. Il ne sait faire ça que dans sa tête. Après tout, il est connu pour ça. Un écrivain, ça assassine beaucoup en écrivant, mais rarement pour de vrai.»

«Personnellement, je ne serais pas aussi catégorique que vous», dit Zander en se tournant vers la fenêtre. Il émit un petit claquement de langue et ajouta: «Tiens, tiens! Voilà justement notre ami!»

«Que voulez-vous dire?»

«Kolb se dirige tout droit vers le commissariat.»

Pour toute réponse, Verena se contenta d’un «hum... » dubitatif.

«Et maintenant, que fait-on?», poursuivit Zander.

«Impliquez-le dans vos investigations», proposa Verena, «Dites-lui que l’opinion d’un auteur de polars pourrait vous être utile.»

«Vous ne croyez pas si bien dire», dit Zander. «Son opinion me sera même d’autant plus utile qu’auprès de chacun des deux cadavres, on a retrouvé un livre de notre auteur.»

«Cela veut certainement dire quelque chose», dit Verena. «Mais cela prouverait plutôt que Kolb n’est pas le coupable. Qui serait assez fou pour signer ses propres crimes? À mon avis, on cherche plutôt à nous orienter vers une fausse piste.» 

«Ou alors», conjectura Zander en se grattant le menton, «Kolb pourrait avoir tué ces deux femmes pour transposer dans la réalité les crimes qu’il imagine sur le papier. Un malade, en quelque sorte, incapable de dissocier le réel de la fiction.» 

En arrivant au pied du commissariat de police, Kolb pensa tout à coup qu’il avait eu une bien curieuse idée de venir jusqu’ici. Il fit demi-tour. Mais la voix de Verena le rattrapa:

«Kolb, attendez!»

Il se retourna et revint vers Verena:

«Bonjour. Vous êtes drôlement matinale.»

«Oui, c’est vrai. Pourquoi vous avez fait demi-tour? Vous vouliez voir le commissaire Zander?» 

«Non, en fait, c’est vous que je voulais voir. Je me suis pris d’affection pour vous.»

Il espérait que la formule serait suffisamment humoristique pour masquer le caractère invasif de sa présence.

«Alors comme ça, vous vous êtes pris d’affection? Mais on ne se connaît que depuis quelques heures, comment ça se fait?»

«Aucune idée.»

«Venez, Kolb. On va aller faire un tour à Ralswiek. Je n’ai encore jamais vu Störtebeker sur scène. Je suis sûre que ça va être très intéressant.» 

«Pourquoi pas? En route pour Ralswiek.» Kolb était soudain de très bonne humeur.

«Au fait, la pièce s’appelle L’or de Störtebeker – le trésor des templiers.»

«Ça a l’air intéressant», dit-il joyeusement. Il ressentait une pointe d’excitation. «Störtebeker est bien ce pirate qui, après avoir été condamné à mort, a proposé un pari aux responsables du Conseil de Hambourg pour éviter l’échafaud à ses compagnons?» 

«C’est ça», dit Verena, avant de préciser: «C’était un jour de printemps. Störtebeker avait proposé que les pirates devant lesquels il arriverait à passer une fois décapité seraient relâchés. Pour les membres du Conseil, une telle chose était impossible et ils acceptèrent le pari. Le corps sans tête de Störtebeker parvint à passer devant onze pirates. Puis quelqu’un lui fit un croche-pied et il roula à terre. C’est en tout cas ce que dit la légende.»

La représentation était prévue à 20 heures. Kolb et Verena eurent donc tout le temps nécessaire pour se promener et aller dîner. Ils prirent chacun une chambre à l’hôtel Klaus Störtebeker, dans la rue principale du village, à quelque cinq minutes à pied du théâtre de plein air.

Le spectacle fut des plus réussis. Lors du feu d’artifice final, Kolb et Verena se rapprochèrent légèrement l’un de l’autre. Mais en fin de soirée, ils se retirèrent chacun dans leur chambre.

 

Le lendemain matin, Kolb se réveilla couvert de sang dans son lit. L’instant d’après, quelqu’un frappait vigoureusement à sa porte.

«Police, ouvrez!»

Kolb se souvenait simplement qu’après avoir pris congé de Verena, il était allé prendre un whisky dans un bar. Mais ensuite, c’était le trou noir. Il n’avait plus aucun souvenir.

 

24 heures plus tard, il était en détention préventive et ne comprenait toujours pas ce qui lui arrivait. On l’accusait de meurtre. Avec le petit déjeuner, dans sa cel-lule, le gardien lui apporta le journal local du jour. La une titrait : «L’écrivain Bartholomeus Bellamy Kolb a été arrêté hier à l’hôtel Klaus Störtebeker.»

Plus bas, l’article précisait:

«Kolb est impliqué dans les deux meurtres de la baie de Lohme et sera transféré aujourd’hui à Hambourg.»

Malgré ses efforts, il ne parvenait pas à reconstituer la fin de soirée de la veille de son arrestation. Quelque chose ne tournait pas rond. Mais quoi ?

 

«Monsieur, veuillez vous préparer», lui dit le gardien d’un ton relativement aimable.

«Pourquoi faire? Que se passe-t-il?», demanda-t-il, irrité.

«Vous allez être entendu avant votre transfert à la justice de Hambourg.»

Avec une tasse de jus de chaussettes dans l’estomac et sa barbe de trois jours, Kolb se sentit aussi reluisant qu’un chat de gouttière. Cette journée ne resterait pas dans les annales. 

 

«Alors, comment ça va?», lui lança le commissaire Zander. Verena, assise à ses côtés, lui fit un signe de la tête, comme si ce rendez-vous était celui de vieux amis. Kolb se plaça sur la défensive.

«Qu’est-ce que ça veut dire? Je me suis trompé de film?», demanda-t-il d’une voix forte. Zander comprit que la conversation s’annonçait mouvementée.

«Calmez-vous, je vous comprends. Nous avons fait analyser le sang retrouvé sur vos vêtements. Ce n’est pas le vôtre.»

«Merci, je m’en doutais. Mais je suppose que vous avez déjà une victime dont le groupe sanguin coïncide ?»

«Jusqu’à présent, nous n’avons retrouvé aucune victime. Mais vous auriez très bien pu la faire disparaître.» 

Cette dernière phrase le fit tressaillir de colère. Verena le remarqua. La profileuse se dirigea vers lui, posa sa main sur son épaule et dit:

«Pour le moment, tout vous accuse. Zander ne pense pas à mal. Mais deux morts en si peu de temps, et le sang retrouvé sur vous... De près ou de loin, à chaque fois, vous êtes impliqué. C’est quand même surprenant.» 

Kolb s’adossa au mur et sentit que son visage se décomposait. Le courage l’abandonnait. Il était à deux doigts d’éclater en sanglots. Mais il était trop grand, trop massif, taillé dans un bois trop dur, pour s’autoriser une telle chose. 

 

Les impressions papier de trois e-mails parvinrent tour à tour sur le bureau de Zander. Verena et Kolb furent autorisés à les lire. Le premier provenait de la police judiciaire de Hambourg, le second du Parquet et le dernier d’un institut médico-légal de Hambourg. 

Les trois e-mails concernaient le cadavre d’une jeune femme d’environ 28 ans, mesurant 1 mètre 69, au sujet de laquelle la police se posait beaucoup de questions. Selon les enquêteurs, ce cadavre aurait en effet disparu trois jours plus tôt de l’institut médico-légal susdit... avant d’être trouvé dans la baie de Lohme.

 

«C’est incroyable», dit Zander, en lisant les courriels d’un air perplexe. Verena et Kolb ne se quittaient pas des yeux. «Voilà où nous en sommes. Le premier corps retrouvé dans la baie a été victime d’un meurtre», dit Zander. «Il a été dérobé dans une morgue de Hambourg, pour être déposé ici. Kolb, vous êtes arrivé à Lohme il y a trois jours. Dans vos bagages, il n’y avait pas un cadavre, par hasard?»

C’en était trop. Kolb était hors de lui.

«Non. Je suis venu avec un Cessna que j’ai loué pour l’occasion. Il n’y avait pas de cadavre à bord. Le pilote vous le confirmera.» 

 

D’une voix incrédule, Zander résuma la situation en une question: «Qui diable aurait l’idée de voler un cadavre et de le déposer dans une baie pour donner l’impression que la victime a été assassinée à cet endroit?»

Dans l’esprit de Kolb, un déclic se produisit. C’était une histoire de premier choix pour un best-seller! Son cerveau bouillonnait. Il était impatient de connaître la suite, comme s’il était déjà en train d’écrire. Le téléphone sonna.

Zander décrocha et régla l’appareil sur «haut-parleur».

«Ici le procureur Stenger», dit la voix au bout du fil. «Vous avez reçu mon e-mail?»

«Oui, je viens de le lire.»

«Et alors, qu’en pensez-vous? C’est une affaire bien mystérieuse, non?»

«Oui», répondit Zander. «Mais cela signifie que Kolb est hors de cause!»

«Absolument pas. Je veux le voir à Hambourg. Je vous charge d’organiser son transfert.»

«Mais... ». Zander n’eut pas le temps de poursuivre. Le procureur avait déjà raccroché. 

«Il a raccroché», dit Zander, en haussant les épaules. «Bon, Kolb... suivez-moi. Apparemment, on ne me laisse pas le choix.»

Kolb comprit que lui non plus n’avait plus le choix, et qu’il devrait s’enfuir dès qu’une occasion se présenterait. Il n’avait rien à voir ni avec les deux cadavres de la baie ni avec le sang retrouvé sur lui à son réveil. Il en était convaincu. Certes, il lui arrivait de boire plus que de raison, mais il savait qu’il était incapable, même dans ses pires moments d’ivresse, de faire du mal à qui que ce soit.

 

À l’âge de 10 ans, Kolb s’était intéressé aux sports de combat. Mais il avait toujours éprouvé de fortes réticences à faire quoi que ce soit qui puisse blesser son adversaire. Un seuil psychologique l’empêchait de mobiliser toute sa force physique contre quelqu’un. Il pensait que s’il laissait libre cours à son énergie, son opposant n’y survivrait vraisemblablement pas. Il semblait convaincu que sa force, pleinement utilisée, était en mesure d’envoyer n’importe qui au tapis. Aujourd’hui encore, il s’estimait doté d’une force physique hors du commun qui nécessitait absolument d’être contrôlée. 

Un soir qu’il déambulait de bistrot en bistrot dans les rues de Brême, une citation de Bertolt Brecht lui était venue à l’esprit: «Celui qui combat peut perdre,

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Verlag: BookRix GmbH & Co. KG

Tag der Veröffentlichung: 01.04.2022
ISBN: 978-3-7554-1053-9

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