Cover



I. Parmi les genies qui president aux empires du monde, Ituriel tient un des premiers rangs, et il a le departement de la Haute-Asie. Il descendit un matin dans la demeure du Scythe Babouc, sur le rivage de l'Oxus, et lui dit: Babouc, les folies et les exces des Perses ont attire notre colere: il s'est tenu hier une assemblee des genies de la Haute-Asie pour savoir si on chatierait Persepolis, ou si on la detruirait. Va dans cette ville, examine tout; tu reviendras m'en rendre un compte fidele, et je me determinerai sur ton rapport a corriger la ville, ou a l'exterminer. Mais, seigneur, dit humblement Babouc, je n'ai jamais ete en Perse; je n'y connais personne. Tant mieux, dit l'ange, tu ne seras point partial; tu as recu du ciel le discernement[1], et j'y ajoute le don d'inspirer la confiance; marche, regarde, ecoute, observe, et ne crains rien; tu seras partout bien recu.

[1] L'edition de 1750, dont j'ai parle dans ma preface, porte de
plus ces mots: <<C'est un assez beau present.>> B.


Babouc monta sur son chameau, et partit avec ses serviteurs. Au bout de quelques journees, il rencontra vers les plaines de Sennaar l'armee persane, qui allait combattre l'armee indienne. Il s'adressa d'abord a un soldat qu'il trouva ecarte. Il lui parla, et lui demanda quel etait le sujet de la guerre. Par tous les dieux, dit le soldat, je n'en sais rien; ce n'est pas mon affaire; mon metier est de tuer et d'etre tue pour gagner ma vie; il n'importe qui je serve. Je pourrais bien meme des demain passer dans le camp des Indiens; car on dit qu'ils donnent pres d'une demi-drachme de cuivre par jour a leurs soldats de plus que nous n'en avons dans ce maudit service de Perse. Si vous voulez savoir pourquoi on se bat, parlez a mon capitaine.

Babouc ayant fait un petit present au soldat entra dans le camp. Il fit bientot connaissance avec le capitaine, et lui demanda le sujet de la guerre. Comment voulez-vous que je le sache? dit le capitaine, et que m'importe ce beau sujet? J'habite a deux cents lieues de Persepolis; j'entends dire que la guerre est declaree; j'abandonne aussitot ma famille, et je vais chercher, selon notre coutume, la fortune ou la mort, attendu que je n'ai rien a faire. Mais vos camarades, dit Babouc, ne sont-ils pas un peu plus instruits que vous? Non, dit l'officier; il n'y a guere que nos principaux satrapes qui savent bien precisement pourquoi on s'egorge.

Babouc etonne s'introduisit chez les generaux; il entra dans leur familiarite. L'un d'eux lui dit enfin: La cause de cette guerre, qui desole depuis vingt ans l'Asie, vient originairement d'une querelle entre un eunuque d'une femme du grand roi de Perse, et un commis d'un bureau du grand roi des Indes. Il s'agissait d'un droit qui revenait a peu pres a la trentieme partie d'une darique[2]. Le premier ministre des Indes et le notre soutinrent dignement les droits de leurs maitres. La querelle s'echauffa. On mit de part et d'autre en campagne une armee d'un million de soldats. Il faut recruter cette armee tous les ans de plus de quatre cent mille hommes. Les meurtres, les incendies, les ruines, les devastations se multiplient, l'univers souffre, et l'acharnement continue. Notre premier ministre et celui des Indes protestent souvent qu'ils n'agissent que pour le bonheur du genre humain; et a chaque protestation il y a toujours quelques villes detruites et quelque province ravagee.

[2] La darique vaut vingt-quatre francs: vojez tome XXXII, page
494. B.

Le lendemain, sur un bruit qui se repandit que la paix allait etre conclue, le general persan et le general indien s'empresserent de donner bataille; elle fut sanglante. Babouc en vit toutes les fautes et toutes les abominations; il fut temoin des manoeuvres des principaux satrapes, qui firent ce qu'ils purent pour faire battre leur chef. Il vit des officiers tues par leurs propres troupes; il vit des soldats qui achevaient d'egorger leurs camarades expirants, pour leur arracher quelques lambeaux sanglants, dechires et couverts de fange. Il entra dans les hopitaux ou l'on transportait les blesses, dont la plupart expiraient par la negligence inhumaine de ceux memes que le roi de Perse payait cherement pour les secourir. Sont-ce la des hommes, s'ecria Babouc, ou des betes feroces? Ah! je vois bien que Persepolis sera detruite."

Occupe de cette pensee, il passa dans le camp des Indiens; il y fut aussi bien recu que dans celui des Perses, selon ce qui lui avait ete predit; mais il y vit tous les memes exces qui l'avaient saisi d'horreur. Oh, oh! dit-il en lui-meme, si l'ange Ituriel veut exterminer les Persans, il faut donc que l'ange des Indes detruise aussi les Indiens. S'etant ensuite informe plus en detail de ce qui s'etait passe dans l'une et l'autre armee, il apprit des actions de generosite, de grandeur d'ame, d'humanite, qui l'etonnerent et le ravirent. Inexplicables humains, s'ecria-t-il, comment pouvez-vous reunir tant de bassesse et de grandeur, tant de vertus et de crimes?

Cependant la paix fut declaree. Les chefs des deux armees, dont aucun n'avait remporte la victoire, mais qui, pour leur seul interet, avaient fait verser le sang de tant d'hommes, leurs semblables, allerent briguer dans leurs cours des recompenses. On celebra la paix dans des ecrits publics, qui n'annoncaient que le retour de la vertu et de la felicite sur la terre. Dieu soit loue! dit Babouc; Persepolis sera le sejour de l'innocence epuree; elle ne sera point detruite, comme le voulaient ces vilains genies: courons sans tarder dans cette capitale de l'Asie.


II. Il arriva dans cette ville immense par l'ancienne entree, qui etait toute barbare, et dont la rusticite degoutante offensait les yeux[3]. Toute cette partie de la ville se ressentait du temps ou elle avait ete batie; car, malgre l'opiniatrete des hommes a louer l'antique aux depens du moderne, il faut avouer qu'en tout genre les premiers essais sont toujours grossiers.

[3] Persepolis etant Paris, l'entree toute barbare est celle du
faubourg Saint-Marceau: voyez le chapitre XXII de Candide . B.

Babouc se mela dans la foule d'un peuple compose de ce qu'il y avait de plus sale et de plus laid dans les deux sexes. Cette foule se precipitait d'un air hebete dans un enclos vaste et sombre. Au bourdonnement continuel, au mouvement qu'il remarqua, a l'argent que quelques personnes donnaient a d'autres pour avoir droit de s'asseoir, il crut etre dans un marche ou l'on vendait des chaises de paille; mais bientot, voyant que plusieurs femmes se mettaient a genoux, en fesant semblant de regarder fixement devant elles, et en regardant les hommes de cote, il s'apercut qu'il etait dans un temple. Des voix aigres, rauques, sauvages, discordantes, fesaient retentir la voute de sons mal articules, qui fesaient le meme effet que les voix des onagres quand elles repondent, dans les plaines des Pictaves[4], au cornet a bouquin qui les appelle. Il se bouchait les oreilles; mais il fut pres de se boucher encore les yeux et le nez, quand il vit entrer dans ce temple des ouvriers avec des pinces et des pelles. Ils remuerent une large pierre, et jeterent a droite et a gauche une terre dont s'exhalait une odeur empestee; ensuite on vint poser un mort dans cette ouverture, et on remit la pierre par-dessus. Quoi! s'ecria Babouc, ces peuples enterrent leurs morts dans les memes lieux ou ils adorent la Divinite! Quoi! leurs temples sont paves de cadavres! Je ne m'etonne plus de ces maladies pestilentielles qui desolent souvent Persepolis. La pourriture des morts, et celle de tant de vivants rassembles et presses dans le meme lieu, est capable d'empoisonner le globe terrestre. Ah! la vilaine ville que Persepolis! Apparemment que les anges veulent la detruire pour en rebatir une plus belle, et la peupler d'habitants moins malpropres, et qui chantent mieux. La Providence peut avoir ses raisons; laissons-la faire.

[4] Les Pietaves sont les Poitevins, habitants du Poitou. B.


III. Cependant le soleil approchait du haut de sa carriere. Babouc devait aller diner a l'autre bout de la ville, chez une dame pour laquelle son mari, officier de l'armee, lui avait donne des lettres. Il fit d'abord plusieurs tours dans Persepolis; il vit d'autres temples mieux batis et mieux ornes, remplis d'un peuple poli, et retentissant d'une musique harmonieuse; il remarqua des fontaines publiques, lesquelles, quoique mal placees[5], frappaient les yeux par leur beaute; des places ou semblaient respirer en bronze les meilleurs rois[6] qui avaient gouverne la Perse; d'autres places ou il entendait le peuple s'ecrier: Quand verrons-nous ici le maitre que nous cherissons? Il admira les ponts magnifiques eleves sur le fleuve, les quais superbes et commodes, les palais batis a droite et a gauche, une maison immense[7] ou des milliers de vieux soldats blesses et vainqueurs rendaient chaque jour graces au Dieu des armees. Il entra enfin chez la dame, qui l'attendait a diner avec une compagnie d'honnetes gens. La maison etait propre et ornee, le repas delicieux, la dame jeune, belle, spirituelle, engageante, la compagnie digne d'elle; et Babouc disait en lui-meme a tout moment: L'ange Ituriel se moque du monde de vouloir detruire une ville si charmante.

[5] C'est de Paris que Voltaire parle, sous le nom de Persepolis:
les fontaines mal placees sont la fontaine de la rue de Grenelle,
faubourg Saint Germain, et la fontaine des Innocents, qui etait
alors au coin des rues aux Fers et de Saint-Denis. C'est de 1788
que date la construction de cette derniere fontaine telle qu'elle
est aujourd'hui. Voyez, dans le tome XIX, la liste des Artistes
celebres du Siecle de Louis XIV (apres l'article MANSARD). B.

[6] Les seuls rois qui eussent des statues etaient Henri IV, Louis
XIII, Louis XIV. La statue de Louis XV ne Fut erigee que beaucoup
plus tard, en 1763; elle avait ete votee, en 1748, par le prevot des
marchands et les echevins de la ville de Paris. B.

[7] L'Hotel des Invalides. B.


IV. Cependant il s'apercut que la dame, qui avait commence par lui demander tendrement des nouvelles de son mari, parlait plus tendrement encore, sur la fin du repas, a un jeune mage. Il vit un magistrat qui, en presence de sa femme, pressait avec vivacite une veuve; et cette veuve indulgente[7] avait une main passee autour du cou du magistrat, tandis qu'elle tendait l'autre a un jeune citoyen tres beau et tres modeste. La femme du magistrat se leva de table la premiere, pour aller entretenir dans un cabinet voisin son directeur qui arrivait trop tard, et qu'on avait attendu a diner; et le directeur, homme eloquent, lui parla dans ce cabinet avec tant de vehemence et d'onction, que la dame avait quand elle revint les yeux humides, les joues enflammees, la demarche mal assuree, la parole tremblante.


[8] L'edition de 1750 porte: <<Cette veuve indulgente lorgnait
vivement le magistrat tandis qu'elle tendait la main a un jeune
citoyen, etc.>> B.

Alors Babouc commenca a craindre que le genie Ituriel n'eut raison. Le talent qu'il avait d'attirer la confiance le mit des le jour meme dans les secrets de la dame: elle lui confia son gout pour le jeune mage, l'assura que dans toutes les maisons de Persepolis il trouverait l'equivalent de ce qu'il avait vu dans la sienne. Babouc conclut qu'une telle societe ne pouvait subsister; que la jalousie, la discorde, la vengeance, devaient desoler toutes les maisons; que les larmes et le sang devaient couler tous les jours; que certainement les maris tueraient les galants de leurs femmes, ou en seraient tues; et qu'enfin Ituriel ferait fort bien de detruire tout d'un coup une ville abandonnee a de continuels desordres.


V. Il etait plonge dans ces idees funestes, quand il se presenta a la porte un homme grave, en manteau noir, qui demanda humblement a parler au jeune magistrat. Celui-ci, sans se lever, sans le regarder, lui donna fierement, et d'un air distrait, quelques papiers, et le congedia. Babouc demanda quel etait cet homme. La maitresse de la maison lui dit tout bas: C'est un des meilleurs avocats de la ville; il y a cinquante ans qu'il etudie les lois. Monsieur, qui n'a que vingt-cinq ans, et qui est satrape[9] de loi depuis deux jours, lui donne a faire l'extrait d'un proces qu'il doit juger demain; et qu'il n'a pas encore examine. Ce jeune etourdi fait sagement, dit Babouc, de demander conseil a un vieillard; mais pourquoi n'est-ce pas ce vieillard qui est juge? Vous vous moquez, lui dit-on; jamais ceux qui ont vieilli dans les emplois laborieux et subalternes ne parviennent aux dignites. Ce jeune homme a une grande charge, parceque son pere est riche, et qu'ici le droit de rendre la justice s'achete comme une metairie[10]. O moeurs! o malheureuse ville! s'ecria Babouc; voila le comble du desordre; sans doute, ceux qui ont ainsi achete le droit de juger vendent leurs jugements: je ne vois ici que des abimes d'iniquite.

[9] Satrape de loi signifie ici conseiller au parlement. Il
arrivait souvent aux conseillers-rapporteurs de charger quelque
avocat de faire les extraits dos proces a juger. B.

[10] Voltaire n'a cesse de s'elever contre la venalite des offices
de judicature; et c'est la suppression de la venalite qui l'avait
rendu partisan des mesures prises eu 1771. Voyez l' Histoire du
parlement , chapitre LXIX, tome XXII, pages 366-67, dans les
Melanges , annee 1771, differentes pieces relatives au parlement
Maupeou; dans la Correspondance , la lettre a madame de Florian,
du 1er avril 1771, et autres lettres. B.

Comme il marquait ainsi sa douleur et sa surprise, un jeune guerrier, qui etait revenu ce jour meme de l'armee, lui dit: Pourquoi ne voulez-vous pas qu'on achete les emplois de la robe? j'ai bien achete, moi, le droit d'affronter la mort a la tete de deux mille hommes que je commande; il m'en a coute quarante mille dariques d'or cette annee, pour coucher sur la terre trente nuits de suite en habit rouge, et pour recevoir ensuite deux bons coups de fleches dont je me sens encore. Si je me ruine pour servir l'empereur persan que je n'ai jamais vu, M. le satrape de robe peut bien payer quelque chose pour avoir le plaisir de donner audience a des plaideurs. Babouc indigne ne put s'empecher de condamner dans son coeur un pays ou l'on mettait a l'encan les dignites de la paix et de la guerre; il conclut precipitamment que l'on y devait ignorer absolument la guerre et les lois, et que, quand meme Ituriel n'exterminerait pas ces peuples, ils periraient par leur detestable administration.


Sa mauvaise opinion augmenta encore a l'arrivee d'un gros homme, qui, ayant salue tres familierement toute la compagnie, s'approcha du jeune officier, et lui dit: Je ne peux vous preter que cinquante mille dariques d'or; car, en verite, les douanes de l'empire ne m'en ont rapporte que trois cent mille cette annee. Babouc s'informa quel etait cet homme qui se plaignait de gagner si peu; il apprit qu'il y avait dans Persepolis quarante[11] rois plebeiens qui tenaient a bail l'empire de Perse, et qui en rendaient quelque chose au monarque.

[11] Quarante est ce qu'on lit dans les editions depuis 1756. Les
editions de 1748 et 1750 portent, soixante et douze . Le nombre
des fermiers-generaux a varie. Louis XV, en 1765, avait cree vingt
nouvelles places. Voyez, tome XXI, le chapitre XXXI du Precis du
Siecle de Louis XV . B.


VI. Apres diner il alla dans un des plus superbes temples de la ville; il s'assit au milieu d'une troupe de femmes et d'hommes qui etaient venus la pour passer le temps. Un mage parut dans une machine elevee, qui parla long-temps du vice et de la vertu. Ce mage divisa en plusieurs parties ce qui n'avait pas besoin d'etre divise; il prouva methodiquement tout ce qui etait clair; il enseigna tout ce qu'on savait. Il se passionna froidement, et sortit suant et hors d'haleine. Toute l'assemblee alors se reveilla, et crut avoir assiste a une instruction. Babouc dit: Voila un homme qui a fait de son mieux pour ennuyer deux ou trois cents de ses concitoyens; mais son intention etait bonne: il n'y a pas la de quoi detruire Persepolis.

Au sortir de cette assemblee, on le mena voir une fete publique qu'on donnait tous les jours de l'annee; c'etait dans une espece de basilique, au fond de laquelle on voyait un palais. Les plus belles citoyennes de Persepolis, les plus considerables satrapes ranges avec ordre formaient un spectacle si beau, que Babouc crut d'abord que c'etait la toute la fete. Deux ou trois personnes, qui paraissaient des rois et des reines, parurent bientot dans le vestibule de ce palais; leur langage etait tres different de celui du peuple; il etait mesure, harmonieux, et sublime. Personne ne dormait, on ecoutait dans un profond silence, qui n'etait interrompu que par les temoignages de la sensibilite et de l'admiration publique. Le devoir des rois, l'amour de la vertu, les dangers des passions etaient exprimes par des traits si vifs et si touchants, que Babouc versa des larmes. Il ne douta pas que ces heros et ces heroines, ces rois et ces reines qu'il venait d'entendre, ne fussent les predicateurs de l'empire. Il se proposa meme d'engager Ituriel a les venir entendre; bien sur qu'un tel spectacle le reconcilierait pour jamais avec la ville.

Des que cette fete fut finie, il voulut voir la principale reine qui avait debite dans ce beau palais une morale si noble et si pure; il se fit introduire chez sa majeste; on le mena par un petit escalier, au second etage, dans un appartement mal meuble, ou il trouva une femme mal vetue, qui lui dit d'un air noble et pathetique: Ce metier-ci ne me donne pas de quoi vivre; un des princes que vous avez vus m'a fait un enfant; j'accoucherai bientot; je manque d'argent, et sans argent on n'accouche point. Babouc lui donna cent dariques d'or, en disant: S'il n'y avait que ce mal-la dans la ville, Ituriel aurait tort de se tant facher.

De la il alla passer sa soiree chez des marchands de magnificences inutiles. Un homme intelligent, avec lequel il avait fait connaissance, l'y mena; il acheta ce qui lui plut, et on le lui vendit avec politesse beaucoup plus qu'il ne valait. Son ami, de retour chez lui, lui fit voir combien on le trompait. Babouc mit sur ses tablettes le nom du marchand, pour le faire distinguer par Ituriel au jour de la punition de la ville. Comme il ecrivait, on frappa a sa porte; c'etait le marchand lui-meme qui venait lui rapporter sa bourse, que Babouc avait laissee par megarde sur son comptoir. Comment se peut-il, s'ecria Babouc, que vous soyez si fidele et si genereux, apres n'avoir pas eu honte[12] de me vendre des colifichets quatre fois au-dessus de leur valeur? Il n'y a aucun negociant un peu connu dans cette ville, lui repondit le marchand, qui ne fut venu vous rapporter votre bourse; mais on vous a trompe quand on vous a dit que je vous avais vendu ce que vous avez pris chez moi quatre fois plus qu'il ne vaut, je vous l'ai vendu dix fois davantage: et cela est si vrai, que si dans un mois vous voulez le revendre, vous n'en aurez pas meme ce dixieme. Mais rien n'est plus juste; c'est la fantaisie passagere[13] des hommes qui met le prix a ces choses frivoles; c'est cette fantaisie qui fait vivre cent ouvriers que j'emploie; c'est elle qui me donne une belle maison, un char commode, des chevaux; c'est elle qui excite l'industrie, qui entretient le gout, la circulation, et l'abondance.

[12] On lit de honte dans l'edition de 1748, faite a Dresde; mais
l'edition de 1750, faite probablement sous les yeux de l'auteur,
quoique portant l'adresse d'Amslerdam, porte seulement: eu
honte . B.

[13] C'est d'apres l'edition de 1750 que j'ai ajoute le mot
passagere. B.

Je vends aux nations voisines les memes bagatelles plus cherement qu'a vous, et par la je suis utile a l'empire. Babouc, apres avoir un peu reve, le raya de ses tablettes[14]; car enfin, disait-il, les arts du luxe ne sont en grand nombre dans un empire que quand tous les arts necessaires sont exerces, et que la nation est nombreuse et opulente. Ituriel me parait un peu severe.

[14] C'est aussi d'apres l'edition de 1750 que je retablis la fin de
cet alinea. B.


VII. Babouc, fort incertain sur ce qu'il devait penser de Persepolis, resolut de voir les mages et les lettres; car les uns etudient la sagesse, et les autres la religion; et il se flatta que ceux-la obtiendraient grace pour le reste du peuple. Des le lendemain matin il se transporta dans un college de mages. L'archimandrite lui avoua qu'il avait cent mille ecus de rente pour avoir fait voeu de pauvrete, et qu'il exercait un empire assez etendu en vertu de son voeu d'humilite; apres quoi il laissa Babouc entre les mains d'un petit frere qui lui fit les honneurs.

Tandis que ce frere lui montrait les magnificences de cette maison de penitence, un bruit se repandit qu'il etait venu pour reformer toutes ces maisons. Aussitot il recut des memoires de chacune d'elles; et les memoires disaient tous en substance: <<Conservez-nous, et detruisez toutes les autres.>> A entendre leurs apologies, ces societes etaient toutes necessaires; a entendre leurs accusations reciproques, elles meritaient toutes d'etre aneanties. Il admirait comme il n'y avait aucune d'elles qui, pour edifier l'univers, ne voulut en avoir l'empire. Alors il se presenta un petit homme qui etait un demi-mage, et qui lui dit: Je vois bien que l'oeuvre va s'accomplir; car Zerdust est revenu sur la terre; les petites filles prophetisent, en se fesant donner des coups de pincettes par-devant et le fouet par-derriere[15]. Ainsi nous vous demandons votre protection contre le grand-lama. Comment! dit Babouc, contre ce pontife-roi qui reside au Thibet?--Contre lui-meme.--Vous lui faites donc la guerre, et vous levez contre lui des armees?--Non; mais il dit que l'homme est libre; et nous n'en croyons rien; nous ecrivons contre lui de petits livres qu'il ne lit pas; a peine a-t-il entendu parler de nous, il nous a seulement fait condamner, comme un maitre ordonne qu'on echenille les arbres de ses jardins. Babouc fremit de la folie de ces hommes qui fesaient profession de sagesse, des intrigues de ceux qui avaient renonce au monde, de l'ambition et de la convoitise orgueilleuse de ceux qui enseignaient l'humilite et le desinteressement; il conclut qu'Ituriel avait de bonnes raisons pour detruire toute cette engeance

[15] Tel est le texte de 1748 et de toutes les autres editions.
Mais l'edition de 1750, que j'aurais peut-etre du suivre, porte:

<<... par-derriere. Il est evident que le monde va finir: ne
pourriez-vous point, avant cette belle epoque, nous proteger contre
le grand-lama?--Quel galimatias, dit Babouc, contre le grand-lama?
contre ce pontife-roi qui reside au Thibet?--Oui, dit le petit
demi-mage avec un air opiniatre, contre lui-meme.--Vous lui faites
donc la guerre, vous avez donc des armees? dit Babouc.--Non, dit
l'autre, mais nous avons ecrit contre lui trois on quatre mille gros
livres qu'on ne lit point, et autant de brochures, que nous fesons
lire par des femmes: a peine a-t-il entendu, etc.>> B.


VIII. Retire chez lui, il envoya chercher des livres nouveaux pour adoucir son chagrin, et il pria quelques lettres a diner pour se rejouir. Il en vint deux fois plus qu'il n'en avait demande, comme les guepes que le miel attire. Ces parasites se pressaient de manger et de parler; ils louaient deux sortes de personnes, les morts et eux-memes, et jamais leurs contemporains, excepte le maitre de la maison. Si quelqu'un d'eux disait un bon mot, les autres baissaient les yeux et se mordaient les levres de douleur de ne l'avoir pas dit. Ils avaient moins de dissimulation que les mages, parcequ'ils n'avaient pas de si grands objets d'ambition. Chacun d'eux briguait une place de valet et une reputation de grand homme; ils se disaient en face des choses insultantes, qu'ils croyaient des traits d'esprit. [16]Ils avaient eu quelque connaissance de la mission de Babouc. L'un d'eux le pria tout bas d'exterminer un auteur qui ne l'avait pas assez loue il y avait cinq ans; un autre demanda la perte d'un citoyen qui n'avait jamais ri a ses comedies; un troisieme demanda l'extinction de l'academie, parcequ'il n'avait jamais pu parvenir a y etre admis. Le repas fini, chacun d'eux s'en alla seul, car il n'y avait pas dans toute la troupe deux hommes qui pussent se souffrir, ni meme se parler ailleurs que chez les riches qui les invitaient a leur table. Babouc jugea qu'il n'y aurait pas grand mal quand cette vermine perirait dans la destruction generale.

[16] Cette phrase et la suivante furent ajoutees en 1756. Les
editions de 1748 et 1750 portent: <<traits d'esprit. Le repas fini,
etc.>> B.


IX. Des qu'il se fut defait d'eux, il se mit a lire quelques livres nouveaux. Il y reconnut l'esprit de ses convives. Il vit surtout avec indignation ces gazettes de la medisance, ces archives du mauvais gout, que l'envie, la bassesse et la faim ont dictees; ces laches satires ou l'on menage le vautour, et ou l'on dechire la colombe; ces romans denues d'imagination, ou l'on voit tant de portraits de femmes que l'auteur ne connait pas.

Il jeta au feu tous ces detestables ecrits, et sortit pour aller le soir a la promenade. On le presenta a un vieux lettre qui n'etait point venu grossir le nombre de ses parasites. Ce lettre fuyait toujours la foule, connaissait les hommes, en fesait usage, et se communiquait avec discretion. Babouc lui parla avec douleur de ce qu'il avait lu et de ce qu'il avait vu.

Vous avez lu des choses bien meprisables, lui dit le sage lettre; mais dans tous les temps, dans tous les pays, et dans tous les genres, le mauvais fourmille, et le bon est rare. Vous avez recu chez vous le rebut de la pedanterie, parceque, dans toutes les professions, ce qu'il y a de plus indigne de paraitre est toujours ce qui se presente avec le plus d'impudence. Les veritables sages vivent entre eux retires et tranquilles; il y a encore parmi nous des hommes et des livres dignes de votre attention. Dans le temps qu'il parlait ainsi, un autre lettre les joignit; leurs discours furent si agreables et si instructifs, si eleves au-dessus des prejuges et si conformes a la vertu, que Babouc avoua n'avoir jamais rien entendu de pareil. Voila des hommes, disait-il tout bas, a qui l'ange Ituriel n'osera toucher, ou il sera bien impitoyable.

Raccommode avec les lettres, il etait toujours en colere contre le reste de la nation. Vous etes etranger, lui dit l'homme judicieux qui lui parlait; les abus se presentent a vos yeux en foule, et le bien qui est cache, et qui resulte quelquefois de ces abus memes, vous echappe.[17] Alors il apprit que parmi les lettres il y en avait quelques uns qui n'etaient pas envieux, et que parmi les mages meme il y en avait de vertueux. Il concut a la fin que ces grands corps, qui semblaient en se choquant preparer leurs communes ruines, etaient au fond des institutions salutaires; que chaque societe de mages etait un frein a ses rivales; que si ces emules differaient dans quelques opinions, ils enseignaient tous la meme morale, qu'ils instruisaient le peuple, et qu'ils vivaient soumis aux lois; semblables aux precepteurs qui veillent sur le fils de la maison, tandis que le maitre veille sur eux-memes. Il en pratiqua plusieurs, et vit des ames celestes. Il apprit meme que parmi les fous [18] qui pretendaient faire la guerre au grand-lama, il y avait eu de tres grands hommes. Il soupconna enfin qu'il pourrait bien en etre des moeurs de Persepolis comme des edifices, dont les uns lui avaient paru dignes de pitie, et les autres l'avaient ravi en admiration.

[17] Ce texte est de 1751. Dans les editions de 1748 et 1750, on
lit: <<...vous echappe. Alors ils le menerent chez le principal
mage, qu'on appelait le surveillant, Babouc vit dans ce mage un
homme digne d'etre a la tete des justes; il sut qu'il y en avait
beaucoup qui lui ressemblaient. Il concut meme que ces grands corps,
etc.>>

Le mot eveque, en latin episcopus , vient du grec episcopos , qui
veut dire inspecteur. En 1748 et 1750 l'archeveque de Paris etait
Christophe de Beaumont, alors recemment nomme, mais qui se rendit
bientot ridicule et odieux a tout Paris (voyez tome XXII, page
339). Beaumont, vingt-cinq ans apres, ne permit pas qu'a la mort
de Voltaire on fit le service d'usage jusque-la pour chaque membre
de l'academie francaise. B.

[18] Les jansenistes. B.


X. Il dit a son lettre: Je concois tres bien que ces mages, que j'avais crus si dangereux, sont en effet tres utiles, surtout quand un gouvernement sage les empeche de se rendre trop necessaires; mais vous m'avouerez au moins que vos jeunes magistrats, qui achetent une charge de juge des qu'ils ont appris a monter a cheval, doivent etaler dans les[19] tribunaux tout ce que l'impertinence a de plus ridicule, et tout ce que l'iniquite a de plus pervers; il vaudrait mieux sans doute donner ces places gratuitement a ces vieux jurisconsultes qui ont passe toute leur vie a peser le pour et le contre.

[19] L'edition de 1750 porte: leurs. B.

Le lettre lui repliqua: Vous avez vu notre armee avant d'arriver a Persepolis; vous savez que nos jeunes officiers se battent tres bien, quoiqu'ils aient achete leurs charges: peut-etre verrez-vous que nos jeunes magistrats ne jugent pas mal, quoiqu'ils aient paye pour juger.

Il le mena le lendemain au grand tribunal, ou l'on devait rendre un arret important. La cause etait connue de tout le monde. Tous ces vieux avocats qui en parlaient etaient flottants dans leurs opinions; ils alleguaient cent lois, dont aucune n'etait applicable au fond de la question; ils regardaient l'affaire par cent cotes, dont aucun n'etait dans son vrai jour: les juges deciderent plus vite que les avocats ne douterent. Leur jugement fut presque unanime; ils jugerent bien, parcequ'ils suivaient les lumieres de la raison; et les autres avaient opine mal, parcequ'ils n'avaient consulte que leurs livres.


Babouc conclut qu'il y avait souvent de tres bonnes choses dans les abus. Il vit des le jour meme que les richesses des financiers, qui l'avaient tant revolte, pouvaient produire un effet excellent, car l'empereur ayant eu besoin d'argent, il trouva en une heure, par leur moyen, ce qu'il n'aurait pas eu en six mois par les voies ordinaires; il vit que ces gros nuages, enfles de la rosee de la terre, lui rendaient en pluie ce qu'ils en recevaient[20]. D'ailleurs les enfants de ces hommes nouveaux, souvent mieux eleves que ceux des familles plus anciennes, valaient quelquefois beaucoup mieux; car rien n'empeche qu'on ne soit un bon juge, un brave guerrier, un homme d'etat habile, quand on a eu un pere bon calculateur.

[20] Voyez daus les Melanges , annee 1749, le morceau intitule:
Embellissements de Paris . B.


XI. Insensiblement Babouc fesait grace a l'avidite du financier, qui n'est pas au fond plus avide que les autres hommes, et qui est necessaire[21]. Il excusait la folie de se ruiner pour juger et pour se battre, folie qui produit de grands magistrats et des heros. Il pardonnait a l'envie des lettres, parmi lesquels il se trouvait des hommes qui eclairaient le monde; il se reconciliait avec les mages ambitieux et intrigants, chez lesquels il y avait plus de grandes vertus encore que de petits vices; mais il lui restait bien des griefs, et surtout les galanteries des dames; et les desolations qui en devaient etre la suite le remplissaient d'inquietude et d'effroi.

[21] 1750 porte: <<tres necessaire.>> B.

Comme il voulait penetrer dans toutes les conditions humaines, il se fit mener chez un ministre; mais il tremblait toujours en chemin que quelque femme ne fut assassinee en sa presence par son mari. Arrive chez l'homme d'etat, il resta deux heures dans l'antichambre sans etre annonce, et deux heures encore apres l'avoir ete. Il se promettait bien dans cet intervalle de recommander a l'ange Ituriel et le ministre et ses insolents huissiers. L'antichambre etait remplie de dames de tout etage, de mages de toutes couleurs, de juges, de marchands, d'officiers, de pedants; tous se plaignaient du ministre. L'avare et l'usurier disaient: Sans doute cet homme-la pille les provinces; le capricieux lui reprochait d'etre bizarre; le voluptueux disait: Il ne songe qu'a ses plaisirs; l'intrigant se flattait de le voir bientot perdu par une cabale; les femmes esperaient qu'on leur donnerait bientot un ministre plus jeune.

Babouc entendait leurs discours; il ne put s'empecher de dire: Voila un homme bien heureux, il a tous ses ennemis dans son antichambre; il ecrase de son pouvoir ceux qui l'envient; il voit a ses pieds ceux qui le detestent. Il entra enfin; il vit un petit vieillard courbe sous le poids des annees et des affaires, mais encore vif et plein d'esprit.[22]

[22] C'est le cardinal de Fleuri que Voltaire designe ici; il en
fait encore l'eloge dans le Panegyrique de Louis XV (voyez les
Melanges , annee 1748). B.

Babouc lui plut, et il parut a Babouc un homme estimable. La conversation devint interessante. Le ministre lui avoua qu'il etait un homme tres malheureux, qu'il passait pour riche, et qu'il etait pauvre; qu'on le croyait tout puissant, et qu'il etait toujours contredit; qu'il n'avait guere oblige que des ingrats, et que dans un travail continuel de quarante annees il avait eu a peine un moment de consolation. Babouc en fut touche, et pensa que, si cet homme avait fait des fautes, et si l'ange Ituriel voulait le punir, il ne fallait pas l'exterminer, mais seulement lui laisser sa place.


XII. Tandis qu'il parlait au ministre entre brusquement la belle dame chez qui Babouc avait dine; on voyait dans ses yeux et sur son front les symptomes de la douleur et de la colere. Elle eclata en reproches contre l'homme d'etat, elle versa des larmes; elle se plaignit avec amertume de ce qu'on avait refuse a son mari une place ou sa naissance lui permettait d'aspirer, et que ses services et ses blessures meritaient; elle s'exprima avec tant de force, elle mit tant de graces dans ses plaintes, elle detruisit les objections avec tant d'adresse, elle fit valoir les raisons avec tant d'eloquence, qu'elle ne sortit point de la chambre sans avoir fait la fortune de son mari.

Babouc lui donna la main: Est-il possible, madame, lui dit-il, que vous vous soyez donne toute cette peine pour un homme que vous n'aimez point, et dont vous avez tout a craindre? Un homme que je n'aime point! s'ecria-t-elle: sachez que mon mari est le meilleur ami que j'aie au monde, qu'il n'y a rien que je ne lui sacrifie, hors mon amant; et qu'il ferait tout pour moi, hors de quitter sa maitresse. Je veux vous la faire connaitre; c'est une femme charmante, pleine d'esprit, et du meilleur caractere du monde; nous soupons ensemble ce soir avec mon mari et mon petit mage; venez partager notre joie.

La dame mena Babouc chez elle. Le mari, qui etait enfin arrive plonge dans la douleur, revit sa femme avec des transports d'allegresse et de reconnaissance: il embrassait tour-a-tour sa femme, sa maitresse, le petit mage, et Babouc. L'union, la gaiete, l'esprit, et les graces, furent l'ame de ce repas. Apprenez, lui dit la belle dame chez laquelle il soupait, que celles qu'on appelle quelquefois de malhonnetes femmes ont presque toujours le merite d'un tres honnete homme; et pour vous en convaincre, venez demain diner avec moi chez la belle Teone[23]. Il y a quelques vieilles vestales qui la dechirent; mais elle fait plus de bien qu'elles toutes ensemble. Elle ne commettrait pas une legere injustice pour le plus grand interet; elle ne donne a son amant que des conseils genereux; elle n'est occupee que de sa gloire: il rougirait devant elle, s'il avait laisse echapper une occasion de faire du bien; car rien n'encourage plus aux actions vertueuses que d'avoir pour temoin et pour juge de sa conduite une maitresse dont on veut meriter l'estime.

[23] On a pretendu que sous le nom de Teone Voltaire designait
madame du Chatelet; ce serait plutot la marquise de Pompadour. B.


Babouc ne manqua pas au rendez-vous. Il vit une maison ou regnaient tous les plaisirs. Teone regnait sur eux; elle savait parler a chacun son langage. Son esprit naturel mettait a son aise celui des autres; elle plaisait sans presque le vouloir; elle etait aussi aimable que bienfesante; et, ce qui augmentait le prix de toutes ses bonnes qualites, elle etait belle.

Babouc, tout Scythe et tout envoye qu'il etait d'un genie, s'apercut que, s'il restait encore a Persepolis, il oublierait Ituriel pour Teone. Il s'affectionnait a la ville, dont le peuple etait poli, doux, et bienfesant, quoique leger, medisant, et plein de vanite. Il craignait que Persepolis ne fut condamnee; il craignait meme le compte qu'il allait rendre.


Voici comme il s'y prit pour rendre ce compte. Il fit faire par le meilleur fondeur de la ville une petite statue composee de tous les metaux, des terres et des pierres les plus precieuses et les plus viles; il la porta a Ituriel: Casserez-vous, dit-il, cette jolie statue, parceque tout n'y est pas or et diamants? Ituriel entendit a demi-mot; il resolut de ne pas meme songer a corriger Persepolis, et de laisser aller le monde comme il va; car, dit-il, si tout n'est pas bien, tout est passable[24]. On laissa donc subsister Persepolis, et Babouc fut bien loin de se plaindre, comme Jonas, qui se facha de ce qu'on ne detruisait pas Ninive[25]. Mais quand on a ete trois jours dans le corps d'une baleine, on n'est pas de si bonne humeur que quand on a ete a l'opera, a la comedie, et qu'on a soupe en bonne compagnie.

[24] Fin du chapitre en 1748 et 1750. Le reste fut ajoute en 1756.
B.

[25] Voyez, dans la Bible, le chapitre IV de Jonas . B.

Impressum

Tag der Veröffentlichung: 30.05.2008

Alle Rechte vorbehalten

Nächste Seite
Seite 1 /